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sent bien quelquefois, et alors il semble faire effort pour se hausser jusqu’à nos généralisations. Il analyse lui-même, d’après notre exemple, les mots dont il se sert, pour bien s’en expliquer le contenu.

Me trouvant de passage chez mon frère, je m’étais laissé retenir deux jours de plus que je ne voulais. Mon neveu (sept ans), au lieu de me dire que, puisqu’on avait obtenu de moi deux jours de plus, on pourrait m’en demander davantage, me parla ainsi, tout en riant : « Tu sais, tu ne pars pas aujourd’hui ; tu pars demain. Demain, on te dira que tu pars demain, et après-demain que tu pars demain, et tu resteras toujours. » On le voit, la formule générale que nous donnons toute faite à l’enfant n’est pas reçue par lui comme telle : il lui en faut une à son usage, et qui soit son œuvre ; celle-ci ne se développe pas tout d’un coup, sans préparation. L’exemple suivant en est encore une preuve. Deux enfants avait été confiés par leur mère à leur cousin, pour une promenade en voiture. Au retour, l’aîné, âgé de cinq ans et demi, dit à sa mère : « Nous t’avions promis d’être bien tranquilles, et nous l’avons été. N’est-ce pas, cousin ? Nous ne nous sommes pas trop penchés pour regarder en bas autour de nous ; nous n’avons pas crié de façon à effrayer les pauvres chevaux ; nous ne nous sommes pas tenus sur la roue pour descendre ; nous n’avons pas sauté à terre avant que les chevaux fussent arrêtés : nous avons été très sages. Tu peux être contente de nous. » L’enfant éprouvait le besoin, pour se faire bien comprendre, pour se bien comprendre lui-même, de détailler en ses composants sensibles et concrets ces deux formules générales : être sage, être tranquille.

Il en est de même pour la plupart des raisonnements de causalité et de finalité. L’enfant a toujours besoin de chercher des parce que, des raisons, des causes, des motifs, des justifications. Quand ses conclusions ne dépassent pas la portée de ses expériences les plus simples, passe encore : mais que de raisonnements il opère à chaque instant, auxquels il manque une condition essentielle, qu’il ne sait pas, qu’il a oubliée, ou que sa paresse à analyser, l’impétuosité de ses désirs, sa tendance à réaliser sur-le-champ une hypothèse intéressante, lui font outre-passer ! Un enfant, âgé de sept ans, vient éveiller son oncle qui se repose des fatigues d’un long voyage. Il lui dit « J’ai trouvé ton porte-monnaie sur la cheminée de l’autre chambre. J’y ai vu cent francs d’un côté, et cinq francs de l’autre. Il y avait quelque chose au milieu, que je n’ai pas pu ouvrir. Il doit y avoir là d’autre argent : car tu as plus de cent cinq francs. Tu n’es pas si pauvre que ça ! — Pourquoi donc ? — Parce que papa, mon grand’père et mes tantes ont beaucoup plus d’argent quand ils voyagent. » Ce raisonnement n’est bien conditionné