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BERNARD PEREZ. — la logique de l’enfant

baux que nous notons dans les phrases d’un jeune enfant ne sont pas seulement des erreurs grammaticales ; elles expriment quelque chose de bien réel, l’identification de faits semblables pour lui, mais distincts pour l’adulte. Rien d’apriorique dans cette notion du temps, et l’usage maladroit qu’en fait l’enfant, encore à cinq ou six ans, et quelquefois plus tard, accuse bien son origine expérimentale. La croyance à des choses à venir, qui se trouve aussi chez l’animal, n’est pas la croyance à l’avenir. L’anticipation de l’avenir, dont on a voulu faire une intuition, n’est pas d’abord autre chose qu’une disposition organique à répéter les mêmes actes et les mêmes jugements pour se mettre en relation avec les mêmes objets. À propos d’une sensation éprouvée ou imaginée, penser à une certaine sensation ou à un groupe de sensations mentalement associées à la première, s’attendre à retrouver des rapports connus, c’est reproduire simplement une représentation du passé. Si le raisonnement atteint l’avenir, c’est en tant qu’objet d’expérience faite, en tant que passé. Il y a bien réellement une expérience de l’avenir, quoi qu’on en dise, et l’avenir pour l’homme n’est jamais, ne peut être que cette expérience. Un enfant de trois ou quatre ans, qui a été d’abord grondé, puis corrigé, pour avoir tiraillé avec les pincettes les oreilles du chien, au moment où il cède à la tentation de renouveler cette méchante action, se rappelle tout à coup le visage irrité, la grosse voix, le dur contact de la main de son père. Ces derniers faits, conséquence des premiers, sont revus par lui dans l’ordre où ils se sont produits, c’est-à-dire après eux. Il les revoit, il ne les prévoit pas. Si son père survenait juste au moment où la représentation s’en fait dans l’esprit de l’enfant, et s’il le frappait aussitôt, il n’y aurait rien de changé dans l’ordre des faits qui se sont déroulés dans l’esprit de l’enfant : son raisonnement serait le même ; mais on ne pourrait pas dire qu’il aurait prévu le coup ; il l’aurait tout à la fois mentalement revu et physiquement senti. Il faut donc s’entendre, quand on dit que le raisonnement conclut du passé à l’avenir, comme aussi du connu à l’inconnu, du particulier au général et réciproquement[1]. Nous con

  1. Conférez V. Brochard, dans sa remarquable étude sur la Logique de Stuart Mill (Rev. phil., nov. et déc. 1881) : « … l’inférence et le raisonnement sont, non pas un passage quelconque, mais un passage réfléchi, raisonné, d’une idée ou d’une chose à une autre. En d’autres termes, on doit introduire dans la définition du raisonnement l’idée d’une conséquence, d’une garantie, d’un principe, d’un droit, c’est-à-dire d’un rapport non seulement empirique et donné, mais nécessaire. C’est d’ailleurs ce que Mill semble admettre quand il dit : « Inférer une proposition d’une ou de plusieurs autres préalables, la croire et vouloir qu’on la croie comme conséquence de quelque autre chose, c’est ce qui s’appelle, au sens le plus large du mot, raisonner. » Ce mot passage fait, selon moi, une confusion regrettable, en ce qu’il parait établir une