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BERNARD PEREZ. — la logique de l’enfant

adroit après, n’est-ce pas ? » On lui a dit souvent que son frère était autrefois maladroit aussi ; il a pu lui-même remarquer quelques-uns de ses propres progrès en dextérité. Le point qu’il met en question ne devrait donc pas lui offrir l’ombre d’un doute. Mais en posant la question à autrui, il se le pose à lui-même, il y réfléchit plus ou moins ; il revoit les raisons qu’il a de conclure. Il repasse de la sorte une leçon déjà sue, et qu’il saura de mieux en mieux, à force de la répéter.

Si, bien raisonner, c’est ajuster exactement des expériences antérieures à des expériences actuelles ou supposées prochaines, on comprend qu’avec son pauvre stock de connaissances différenciées, l’enfant, dans bien des cas, raisonne autrement qu’un adulte à l’esprit cultivé. Il doit même en être ainsi : sa logique n’est pas la nôtre ; elle est faite de ses prédispositions innées ou héréditaires, de ses expériences propres, ou de nos expériences transmises par mille voies, et agglutinées aux siennes. Ses expériences à lui le guident-elles souvent dans ses inférences ? Peut-être plus souvent que nous ne le croyons. Sans doute, on peut retrouver chez lui la plupart des mauvais raisonnements de l’adulte ayant pour causes la précipitation, la passion, l’inattention, les souvenirs incomplets, les associations désordonnées. Mais, la plupart du temps, selon l’expression de Mme Necker de Saussure, ses « raisonnements ne sont que le prétexte de la volonté[1] ; » ils s’exercent en vue d’actions simples et immédiates, par le moyen de représentations concrètes, vivantes, bien définies : par suite, la logique de l’enfant, comme celle de l’animal, doit être plus rarement en défaut que celle de l’homme, dont la vie et la pensée sont beaucoup plus complexes, les besoins plus variés, plus artificiels, et la science peu supérieure. En tout cas, bien raisonner, pour lui, ce n’est pas tirer la conclusion que nous tirerions nous-mêmes : au contraire, l’éducateur doit toujours se mettre en garde contre ces fausses rencontres de la raison enfantine avec la nôtre. À quatre ans, à cinq ans, à six ans, l’enfant emploie à notre façon les mots de présent, d’avenir, de passé, de durée, les mots on, tous, se, et d’autres ayant pour nous une extension assez grande ; il moralise sur principes, parle avec aplomb de mérite et de démérite, de sagesse, de prudence, de bonté et de méchanceté ; il cherche à tout des raisons, et il n’est presque jamais embarrassé pour donner les siennes ; il discute en personne entendue ses affaires et celles d’autrui : en tout cela, nous le prendre au sérieux, mais pas autant qu’il le fait lui-même. Sachons bien que dans tous ces raisonne-

  1. L’éducation progressive, t.  II, p. 127