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BERNARD PEREZ. — la logique de l’enfant

hommes d’expériences répétées, de synthèses et d’analyses renouvelées, malgré toutes les excitations et tous les secours fournis par le langage, l’éducation et l’exemple, pour pouvoir ébaucher d’une manière à peu près sûre des analogies constantes et étendues, avec leur cortège de contradictions, d’exceptions possibles !

Tout raisonnement implique un obstacle, un retard apporté à l’évidence immédiate : autrement ce serait un simple jugement. On pressent un rapport entre un objet et un autre objet, entre une image et une autre image. C’est une question qui se pose dans l’esprit. Très souvent, surtout au début, l’enfant la résout sans coup férir, au moyen d’analogies plus ou moins valables. Mais souvent aussi, dès l’âge de trois ans, quelquefois un plus tôt, ce petit être dont la crédulité nous fait sourire, montre un septicisme naïf, perplexe et hésitant où l’adulte affirme ou nie. C’est qu’il a déjà été entamé par le doute qui naît des expériences d’exceptions.

Il sait, d’une manière positive, que toutes les présentations ne donnent pas toujours ce qu’elles promettent, que les suggestions les plus imminentes ne se réalisent pas toujours. Que d’objets il a vus, désirés, demandés, touchés, qu’on lui a refusés, ou dont on ne l’a pas laissé user à sa guise ! Que de gronderies, de punitions, lui ont values ses plus délicieux caprices ? Que d’objets dérangés, détériorés, brisés, perdus, par maladresse, étourderie, malice, enjouement, complaisance, colère ! Que d’objets présents aussitôt disparus, et d’objets invisibles rendus présents ! Il sait tout cela, et sa douce philosophie parfois s’en égaie et en égaie les autres. En un mot, ni tout ce qu’il avait eu raison de craindre, ni tout ce qu’il avait eu raison d’espérer, ne lui est arrivé. L’idée des changements, des contradictions, des possibles, couve dans sa jeune tête. Cette idée, cette disposition d’esprit, dans une foule de circonstances, se traduit par des questions, des formules optatives, conditionnelles, dubitatives.

C’est surtout, comme l’indiquent quelques-uns des exemples déjà cités, dans ce qui intéresse directement, sa sensibilité, que l’enfant, pressé d’arriver à ses fins, de conclure, et s’en trouvant empêché par quelque cause extérieure ou intérieure, demande aux autres la réponse à la question qui s’est posée dans son esprit, et qu’il ne peut résoudre. Mais son doute expectant s’exprime aussi bien par la forme hypothétique ou conditionnelle que par la forme interrogative[1]. Un enfant de trois ans et quelques mois a vu consolider un

  1. M. G. Tarde n’est pas tout à fait de cet avis. « L’esprit attentif, dit-il, est essentiellement questionneur. Cette étrange faculté de dire si, qui, non moins que la faculté de dire oui et non, concourt à la formation de toutes nos idées car toutes les lois scientifiques ne sont que des hypothèses vérifiées et em-