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TANNERY. — critique de la loi de weber

la fatigue des organes, et qui modifieraient la relation, n’ont rien à faire.

Eh bien ! pour cet ordre de sensations, la loi de Weber, si on la ramène, comme il convient, à la traduction fidèle des expériences qu’elle représente, est-elle vraie ? C’est-à-dire y a-t-il un minimum perceptible de différences d’excitation qui soit proportionnel à l’excitation ? J’ai déjà indiqué que théoriquement cela était impossible, car à ce minimum correspondrait nécessairement une différence sensationnelle minima, un comma, lequel, d’après la seule manière légitime d’interpréter la formule logarithmique, devrait exactemen, mesurer tous les intervalles musicaux, et l’on sait depuis les Pythagoriciens qu’il ne peut y avoir entre eux aucune commune mesure. L’expérience est d’ailleurs pleinement d’accord avec la théorie, et Fechner reconnaît lui-même que les recherches instituées suivant les méthodes actuelles pour la sensation de la tonalité ne conduisent aucunement à des résultats acceptables pour la justification de la loi.

Ce fait bien précis me paraît suffisant pour rompre toute liaison théorique entre les expériences de Weber et la formule logarithmique. Sans contredire en aucune manière les résultats expérimentaux, je crois avoir le droit de repousser l’énoncé de la loi de Weber, en tant du moins qu’on prétend lui faire représenter ces résultats ; il me paraît essentiel de se borner à les formuler sans chercher à les dépasser en quoi que ce soit.

En résulte-t-il cependant que cet énoncé soit nécessairement faux, ainsi que la loi logarithmique qui en dérive ? En aucune façon, puisque notre raisonnement est précisément fondé sur la vérité de cette loi dans un cas particulier. Seulement, si l’on veut l’étendre à d’autres cas, à des sensations d’un genre différent, il faut résolument abandonner les méthodes expérimentales actuelles, qui ont leur intérêt, mais ne peuvent servir ici ; il faut suivre exclusivement la voie ouverte par M. Delbœuf pour les sensations lumineuses ; il faut aborder directement la mesure des sensations là où elle sera possible, sauf à y renoncer là où elle sera impossible.

Ainsi, à mon sens, la psychophysique a jusqu’à présent posé des problèmes plutôt qu’elle n’en a résolu, et peut-être, à cause de cela, ne mérite-t-elle pas pleinement encore le nom de science. Comment mesurer les sensations ? Comment mesurer l’excitation interne ? Telles sont les deux questions capitales qu’elle a soulevées en ne leur donnant que des solutions indirectes, provisoires et insuffisantes. La voie où Fechner l’a menée aboutit à une impasse ; il faut en sortir et choisir un autre guide.