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états du développement mental qui commence au protiste et aboutit à l’homme. Je ne puis que leur porter envie. Je me contente, comme par le passé, de présenter, sur quelques-uns de ces états observés chez l’enfant, un petit nombre de faits saillants, sobrement interprétés, en attendant des classements plus nets et des généralisations plus étendues. Les problèmes obscurs de l’intelligence doivent être posés de mille manières, avant d’être à peu près résolus. C’est là ce qui m’encourage à soumettre aux philosophes de profession ces petits faits de la vie enfantine, que j’aime à reproduire dans leur naïve simplicité.

I

Il est intéressant de voir comment les vives impulsions de la sensibilité, le besoin d’agir, de jouir, de repousser le mal sous toutes ses formes, poussent l’enfant à raisonner, à conclure. Le raisonnement se ressent toujours de ses origines animales et utilitaires. Les actes coordonnés en vue de satisfaire tel désir attractif ou répulsif sont des raisonnements pratiques, et ces combinaisons d’actes, pensés et non accomplis, sont de purs raisonnements. Pour l’enfant, le raisonnement se mêle toujours à l’action, tend à l’action, s’y surajoute ou la supplée. Le désir se transforme sans cesse en jugement ou en détermination volontaire. Étudions ce passage si fréquent du désir ou du sentiment à l’acte et au raisonnement chez des enfants âgés de plus de trois ans.

Deux frères, âgés l’un de sept ans, l’autre de quatre ans et demi, viennent d’entendre raconter des histoires fort intéressantes par leur cousin, jeune officier de l’armée de Tunisie. « Les histoires de notre cousin sont bien amusantes, dit l’aîné à son frère ; je voudrais les entendre encore. Vois-tu d’ici ces démons de zouaves, avec leurs grands fez rouges et leurs grands pantalons, qui se glissent comme des chats le long des murs et sur les toits pour aller pêcher à la ligne, quoi ? des canards et des poules. J’espère bien que papa me laissera engager dans les zouaves, quand je serai grand. Je n’aurais pas peur de grimper, comme eux, sur les murs. Et toi, aurais-tu peur ? Si j’essayais de passer par la treille de notre jardin, pour aller rejoindre le mur du second voisin, qui donne sur une basse-cour, aurais-tu peur de m’y suivre ? Entends-tu les poules et les pintades qui gloussent ?