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notices bibliographiques

Savants. « C’est dire qu’elles ont été écrites dans le but de faire connaître et de discuter, sans entrer dans trop de détails, les faits les plus essentiels exposés dans un certain nombre d’ouvrages et les conclusions qu’en avaient tirées les auteurs. » On sait la valeur de tels articles, dans lesquels des savants comme M. de Quatrefages à la fois exposent et discutent les travaux qu’ils jugent les plus importants dans l’ordre de recherches où eux-mêmes font autorité. Ajoutons que, en réimprimant ces articles, l’auteur les a complétés, enrichis de détails et de développements nouveaux, quelquefois refondus totalement.

Tel qu’il est, le volume manque un peu d’unité, mais il ne manque certainement ni d’utilité ni d’intérêt. Il représente une somme singulière de recherches, de documents compulsés dépouillés, de faits coordonnés, d’idées soumises à la critique : livre précieux, ne fût-ce que parce qu’il dispense d’en avoir et d’en lire beaucoup d’autres. Pour les gens qui, sans faire de l’anthropologie leur étude spéciale, tiennent pourtant à connaître les questions qu’elle agite et les résultats acquis, c’est une bonne fortune de trouver réunies tant d’informations de bonne source sur des points si divers de cette science. Deux études sont consacrées à l’homme fossile : l’une, surtout historique, retrace à grands traits les progrès de la paléontologie humaine ; l’autre traite de l’homme tertiaire et du mélange des races primitives qui a donné naissance aux premières tribus de l’époque actuelle. Les hommes sauvages étudiés dans le reste du volume sont les Malais, les Papouas, les Négritos, les Tasmaniens, les Maoris et Morioris, les Todas, les Finnois de Finlande. Un chapitre est consacré aux populations de la Mélanésie et de la Polynésie occidentale, un autre (avec carte) aux migrations polynésiennes, objet déjà, on le sait, d’une étude spéciale publiée antérieurement par M. de Quatrefages.

Dans cette extrême diversité, une certaine unité, au moins d’esprit, ne fait pas défaut à l’ouvrage. L’auteur s’intéresse aux hommes qu’il nous peint, et si misérables soient-ils, si bas placés dans l’échelle du développement humain, il donne une attention sympathique à leurs mœurs, à leurs institutions, à leurs croyances, à leur état mental. C’est par là surtout que ses écrits intéressent les philosophes : le savant est, en lui, doublé d’un moraliste. Je ne sais si les anthropologistes de profession trouveront qu’il donne assez de mesures de crânes et d’os ; mais, quant à moi, je n’en souhaite pas davantage. J’attache un grand prix, au contraire, à son histoire, si précise à la fois et si humaine, de la race tasmanienne, aujourd’hui disparue. On voudrait cependant un peu plus de clarté dans l’explication proposée de cette extinction si rapide. M. de Quatrefages l’attribue avant tout à la stérilité des unions, à la décroissance soudaine de la natalité dans les populations sauvages par le seul fait du contact avec les Européens ; c’est ce qu’il appelle « le mal d’Europe ». Mais à quoi attribuer ce fait même, et comment l’expliquent les savants ? L’auteur en parle comme si le fait était aussi clair qu’il est connu ; peut-être était-ce le cas d’en rappeler l’explication, s’il