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illusion. La formule pour le travail dû à la compression d’un gaz se déduit de la loi de Mariotte, et celle-ci n’a certainement qu’une valeur empirique. On la considère à la vérité comme une limite à laquelle satisferait un gaz parfait, idéal, qui n’existe pas, et on la relève par cet artifice à la dignité de loi de la nature. Mais, si simple que soit la constitution d’un gaz relativement à celle du système nerveux, on est encore loin de pouvoir formuler sur cette constitution des hypothèses qui justifieraient en réalité cette manière de voir.

Quant à la loi de Newton, elle est absolument empirique, et on peut lui appliquer ces remarques que faisait, dans la Revue scientifique, M. J. Tannery sur l’imperfection des observations en psychophysique :

« Je crains un peu que la proportionnalité observée ne soit tout à fait grossière et du même ordre que celle qui existe entre les petits accroissements de deux fonctions continues d’une même variable qui varient dans le même sens. Tout reviendrait alors à dire que la quantité dont il faut augmenter, ou le poids, ou la température, pour que le sujet s’en aperçoive, dépend de ce poids ou de cette température, et je suis vraiment persuadé qu’il en est ainsi. »

La loi de Newton est précisément un exemple bien saillant, mais qui n’est pas le seul en physique au reste, d’une déduction faite, comme la loi de Weber, d’observations où l’on mesure les petits accroissements d’une fonction continue d’une variable, et où on les rapporte à des valeurs de cette variable, croissant simultanément avec la fonction. Il est bien connu que la forme logarithmique de la loi tient uniquement au caractère de ces observations, que par conséquent cette loi n’a qu’une valeur absolument empirique et dépasse de beaucoup les données de l’expérience, tout en pouvant encore se rapprocher plus ou moins de la réalité.

Il en est nécessairement de même pour les formules de Fechner, si l’on n’adopte pas le point de vue que leur auteur qualifie de psychophysique. Toute la question est donc de savoir si ce point de vue est soutenable.

Or la position prise par Fechner a été réellement choisie par lui avec autant d’habileté que d’audace. Il s’est bien rendu compte que, pour sauver la valeur théorique de ses formules, trop clairement fausses pour des relations entre la sensation et l’excitation externe, il fallait prendre un intermédiaire aussi peu accessible à la mesure que la sensation ; la formule logarithmique liera donc pour lui la sensation et l’irritation interne ; c’est là la loi de la nature ; on ne doit pas la mettre en doute ; tout désaccord avec l’expérience est à mettre sur le compte des perturbations qui affectent la proportionnalité sup-