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ANALYSES.réville. Religions des peuples non civilisés.

aux opérations qu’il désirait faire. Il pouvait, pour cela, s’incorporer dans une forme humaine ou animale. C’est là que commence la possibilité de transformer les dieux-nature en héros de légendes et d’épopées et de les opposer même au phénomène visible dont ils sont l’objet. »

M. Réville pense même pouvoir faire un pas de plus : « La grande quantité d’esprits séparés de leur base matérielle fait qu’on s’habitue à croire à l’existence et à l’action continuelle d’esprits tout court, anonymes, ne se rapportant plus à rien de spécial dans la nature, mais dotés de pouvoirs supérieurs à ceux de l’homme et intervenant à chaque instant dans sa destinée, soit pour lui faire du bien, soit pour lui faire du mal. L’animisme est dès lors constitué, et il semble que, chez les races non civilisées, le cours du temps lui est favorable. Les grands dieux de la nature, avec leur régularité d’allures et leur parfaite insouciance de l’homme, se prêtent moins à ses désirs, à ses calculs, à ses élans, que ces esprits invisibles, mais tout voisins, qui peuvent entrer chez vous, etc. On dirait qu’à la longue… le sentiment de l’indifférence des grands phénomènes personnifiés… pour ce qui touche le plus l’homme, a refroidi la ferveur dont ils étaient auparavant l’objet. »

Ainsi, loin qu’on voie le naturisme supplanter et faire oublier l’animisme, c’est au contraire le culte des esprits proprement dits qui tend à prendre la place de celui des dieux de la nature. Mais ici, il est nécessaire de s’expliquer sur un point d’une grande importance.

Au nombre des esprits, il faut compter ceux des ancêtres. Le mort devient un esprit, semblable à ceux de la nature, vivant comme eux dans le monde invisible et pouvant comme eux se manifester sous des formes animales ou humaines. » De là, un culte des morts, tout particulièrement des ancêtres, qui « s’est greffé sur l’animisme, pour devenir un des éléments, je ne dirai pas constants…, s’exprime M. Réville, mais des plus fréquents de la religion des non-civilisés. » C’est à tort que M. Herbert Spencer a prétendu qu’il y fallait voir « le point de départ générateur de toute l’histoire des religions », tandis qu’il ne constitue qu’un moment, important il est vrai, de l’évolution de la pensée religieuse.

Le même animisme, dérivé du naturisme primitif, engendre la sorcellerie, par laquelle l’homme pénètre dans le domaine de la divinité et la contraint à céder à ses demandes.

Armé de ces définitions, M. Réville tente d’esquisser les cadres d’une philosophie du développement religieux, qui peut passer pour une sorte de contre-partie ou une correction de l’échelle proposée par Auguste Comte : fétichisme, polythéisme, monothéisme. Au premier degré, il y a, d’après notre auteur, « une notion très confuse, si même il y en a une, de lois ou de conditions nécessaires régissant l’ensemble des choses. Tout dans le monde paraît soumis à des volontés arbitraires, que l’homme doit tâcher de se concilier. C’est le point de vue naturiste et animiste, et il ne changera pas essentiellement tant qu’on