Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 17.djvu/320

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
316
revue philosophique

différence de principe. Absurdement grossière ou déjà poétiquement développée, la religion du non-civilisé est partout la même. Naturisme, animisme, sorcellerie, fétichisme ou idolâtrie, offrandes alimentaires, prévision de la continuation de l’existence après la mort perpétuation des formes et des conditions de la vie actuelle, funérailles célébrées et soins pris des trépassés conformément à cette croyance : voilà ce que nous avons vu partout. »

La religion ayant pour objet les phénomènes de la nature peut être distinguée en petit et en grand naturisme, selon qu’elle « s’adresse à des êtres de peu d’importance en eux-mêmes, comme des arbres, des rochers, des sources, des animaux, ou bien à des êtres qui, par leur grandeur, leur élévation, leur puissance apparente ou réelle, — le ciel, le soleil, la lune, le vent, le tonnerre, etc., — possèdent des droits patents à la suprématie qu’on leur reconnaît. »

Après avoir fait remarquer qu’on est autorisé « à chercher dans le monde non civilisé les éléments constitutifs de ce qui put être la religion primitive, M. Réville insiste sur l’invraisemblance des théories qui ramènent les religions primitives à de véritables spéculations sur la nature humaine. » D’après les indices les plus précis, on a lieu de penser que la religion primitive ne fut rien de si compliqué, mais « quelque chose de confus, de vague, un appel bref et variable à ce qui sollicitait l’imagination, la crainte ou la confiance. »

Le non civilisé tient les objets de son adoration pour animés, ainsi qu’il se voit lui-même, c’est-à-dire comme composés d’un corps et d’une âme, capables de se détacher l’un de l’autre. M. Réville insiste avec raison sur ce point fort important : « L’homme, de très bonne heure, est poussé par un sentiment en quelque sorte instinctif, comme par ses premières réflexions sur le rêve, l’évanouissement, les cas de vision ou de délire, à distinguer très fortement en lui-même l’être pensant et voulant de son corps visible et palpable. D’une intuition légitime au fond, d’une distinction qu’il faut bien toujours faire, mais sans oublier le lien organique et substantiel qui s’impose aussi à une réflexion plus exercée, il tire l’idée d’une dualité, d’une véritable séparation entre l’âme ou l’esprit et le corps. L’âme ou l’esprit peut sortir du corps, aller vagabonder au loin, puis y rentrer, pour en ressortir de nouveau. Nous avons vu cette notion de la nature humaine répandue par tout le monde non civilisé. Eh bien ! l’homme qui anime les objets naturels et qui assimile leur nature à la sienne ne met pas en doute que chez tous ces êtres animés l’esprit peut, comme chez lui, quitter son enveloppe ordinaire, se transporter loin d’elle, se cacher sous d’autres formes et même ne pas prendre du tout de forme visible. Il devait nécessairement en résulter que les innombrables dieux petits et grands de la nature formeraient une multitude d’esprits voltigeant dans l’espace ; que, par exemple, l’esprit du soleil, ou l’esprit de la montagne, ou l’esprit de l’arbre pouvait se détacher et se détachait, en effet, l’un du soleil, l’autre de la montagne, l’autre de l’arbre, pour se livrer aux courses et