Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 17.djvu/318

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
314
revue philosophique

points de vue, de la vie actuelle. Le mort continue de vivre tel qu’il était, quand il expira, riche ou pauvre, chef ou esclave, hardi guerrier ou ardent chasseur, et c’est en cette qualité qu’il s’assurera un sort meilleur dans le monde futur que s’il était lâche ou indolent. L’idée morale d’une rémunération fondée sur d’autres vices ou d’autres vertus est étrangère à cette manière de concevoir la vie d’outre-tombe chez les Peaux-Rouges, comme chez la grande majorité des civilisés. »

Chez les Esquimaux, on rencontre « un dualisme qui n’est pas systématisé ni poursuivi avec une grande rigueur, mais qui, d’une manière générale, distingue le ciel comme un dieu bon et la terre comme une déesse redoutable. »

Dans l’Amérique du Sud, en se dirigeant d’après la division géographique, on se trouve successivement en face des cinq groupes qui suivent : 1o Les indigènes des Antilles ; 2o Les Caraïbes ; 3o Les tribus brésiliennes ; 4o Les Abipones et les Indiens des pampas ; 5o Les Patagons et les Fuégiens ; les Araucaniens.

Toute cette partie est traitée avec le même soin et la même conscience que les précédentes. On remarquera surtout les pages consacrées aux tribus brésiliennes. C’est un domaine immense, où il est peut-être plus difficile encore qu’ailleurs de s’orienter sûrement. Dans toutes les tribus jusqu’ici étudiées de ces vastes régions d’accès incommode, ou retrouve « les éléments ordinaires de la religion des non-civilisés, un certain culte de la nature, l’animisme et la sorcellerie. » Comme les Peaux-Rouges, les Indiens du Brésil reconnaissent volontiers l’existence « d’un esprit premier ou chef de la masse des esprits qui peuplent le monde ; le nom le plus répandu de ce dieu supérieur est Toupan, le dieu onomastique des peuples toupis, et c’est par leur influence qu’il a dû passer jusque chez les Botocudos. Toupan est la personnification du tonnerre et probablement aussi du vent considéré comme une manifestation du même être. » Les malheureuses populations de l’extrême sud présentent des croyances, un culte et une mythologie des plus rudimentaires.

Les Océaniens. — Ici, l’intérêt augmente. Les Polynésiens méritent d’arrêter tout particulièrement le regard de l’historien des religions. Le mythe cosmique de la Nouvelle-Zélande est fort remarquable. Au commencement, raconte-t-on, Rangi et Pépé (le ciel et la terre) se tenaient étroitement serrés dans une étreinte amoureuse. Leurs enfants, tenus dans l’obscurité et plongés dans les ténèbres, se trouvaient dans une situation intolérable. L’un d’eux, le père des forêts, par un violent effort, parvient à les écarter et à répandre ainsi la lumière sur toutes les créatures. « Les deux éternels époux ne cessent pourtant de s’aimer. La terre envoie toujours des parfums vers son époux adoré, et le ciel, pleurant son triste sort pendant les longues nuits, fait tomber sur la terre les larmes que les hommes appellent la rosée. » La séparation du ciel et de la terre, primitivement confondus, est donc la condition première