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lune, montagnes, cours d’eau, etc., est général sur la terre africaine. Il n’est pas un seul des peuples dont nous avons parlé où ce culte d’un ou plusieurs phénomènes naturels ne soit fondamental. Mais, tandis qu’avec plus de réflexion, d’imagination fixée sur son objet, de capacité organisatrice, les peuples africains eussent certainement tiré de leur naturisme des mythologies développées, dramatisées, opulentes, tout est demeuré infécond. En revanche, l’animisme, le culte des esprits détachés de la nature et sans lien nécessaire avec des phénomènes naturels déterminés, a pris une place prépondérante et, pour ainsi dire, absorbante. De là le fétichisme du nègre, un fétichisme qui s’élève peu à peu à l’idolâtrie, parce que les objets-fétiches doivent revêtir insensiblement les formes animées que l’imagination complaisante de leurs adorateurs leur prête gratuitement dès qu’elle est quelque peu excitée par leur structure bizarre ou leur origine mystérieuse. De là, cette croyance partout répandue en la sorcellerie, où l’on discerne çà et là des rudiments de sacerdoce régulier. De là, cette confiance non moins générale dans les amulettes, plus recherchées encore là où le fétichisme proprement dit est inconnu ou du moins très rare. De là enfin, ce culte des morts ou des esprits défunts qui se trouvent assimilés aux esprits originaires de la nature et interviennent avec eux dans le cours de la destinée. »

Les indigènes des deux Amériques. — Chacune de ces deux grandes divisions doit être traitée à part. Dans la première, on remarque les Esquimaux et les Peaux-Rouges.

Le Peau-Rouge, qui offre certains côtés brillants, souffre d’une grande étroitesse de vues, qui restreint son horizon. La croyance au Grand Manitou n’indique nullement le monothéisme. Le dieu supérieur qu’il invoque, s’il préside aux autres esprits, est loin d’être unique. D’ailleurs son caractère naturiste se fait voir dans les mythes qu’on lui rattache. « Partout où l’on peut préciser la signification de son nom et des attributs qu’on lui prête, on arrive toujours soit au ciel, soit au soleil, soit au vent. » C’est généralement « le ciel ventant, le ciel soufflant qui est l’objet de la plus grande vénération. » Quand on entre dans le détail, on constate que les idées naturistes sont aussi prononcées dans la race indigène de l’Amérique du Nord que dans tout autre groupe de non civilisés. On a prétendu que « l’animisme dominerait au nord et la naturisme dans les régions méridionales de ce continent. Cela n’est vrai que relativement. Il est constant que la nature, dans les régions septentrionales, plus terne, plus brumeuse, moins opulente de formes et de couleurs, se prête plus facilement aux conceptions vagues et toujours un peu nébuleuses de l’animisme… Mais, de même qu’il y a un « naturisme très positif au nord, il y a aussi de l’animisme au sud. » Il ne peut être question, déclare M. Réville, que d’une différence très relative. »

Nous laissons de côté ce qui concerne la sorcellerie, pour dire quelques