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C’est à tort qu’on a désigné l’état religieux qui vient d’être indiqué sous le nom de fétichisme. Le fétichisme ne saurait être tout au plus que de « l’animisme appliqué ». « Le fétiche, dit M. Réville, est un objet vulgaire, sans aucune valeur en lui-même, mais que le noir garde, vénère, adore, parce qu’il croit qu’il est la demeure d’un esprit. » Le choix dudit objet n’est cependant point absolument arbitraire. Le fétiche a ceci de très particulier qu’il est la propriété de celui qui l’adore. « C’est dans ce caractère de propriété de l’individu, de la famille, de la tribu, que l’on voit clairement apparaître la différence entre l’objet de la religion naturiste et le fétiche proprement dit. Quelque humble qu’il soit, arbre, rocher, ruisseau, le premier est indépendant, est accessible à tous, aux étrangers comme aux indigènes, à la seule condition de se conformer à ses exigences en matière de rituel ou de culte. Le soleil luit pour tout le monde, la montagne est à la portée de tous ceux qui en parcourent les flancs, la source rafraîchit le passant, quelle que soit sa tribu, l’arbre lui-même qui pousse en plein désert ne demande au voyageur qu’une marque de déférence et ne s’inquiète pas de son origine. On ne peut s’approprier individuellement l’objet naturel. Il en est tout autrement du fétiche. Une fois adopté par une famille, il est en quelque sorte au service de cette famille-là et n’a rien à faire avec les autres. »

La sorcellerie tient une place importante dans la religion des nègres. En l’absence d’un sacerdoce régulier, son influence se développe sans obstacle. Le sorcier noir est avant tout médecin, puis devin. Dans quelques régions de l’Afrique, on distingue expressément entre les deux ; plus généralement, un même personnage exerce l’une et l’autre fonction. Toutefois le prêtre arrive à se distinguer du sorcier, ou, si l’on préfère, le sorcier, en s’attachant à des objets de culte déterminés et en dirigeant les rites par lesquels on les honore, devient, en bien des cas, un véritable prêtre. « La sorcellerie purement individuelle et fantaisiste se change graduellement en sacerdoce. Devenue par là une institution publique permanente, la sorcellerie sacerdotale se régularise, organise un rituel qui devient traditionnel, impose à ceux qui aspirent à l’honneur d’en faire partie, des conditions d’initiation, des épreuves, un noviciat, reçoit des privilèges, les défend s’ils sont attaqués, cherche plutôt à les augmenter. C’est l’histoire de toutes les institutions sacerdotales, qui sont certainement un progrès sur la sorcellerie capricieuse, fantastique, désordonnée, des âges antérieurs. »

Un des côtés les plus curieux de la religion en Afrique, c’est l’existence de sociétés secrètes. On n’est malheureusement point renseigné clairement sur leurs doctrines et leurs moyens d’action. « Sans aller, dit M. Réville, jusqu’à l’opinion qui voulait y voir le pendant africain des mystères grecs, on doit reconnaître dans ces sociétés secrètes des espèces de franc-maçonneries dans lesquelles la protection solidaire des membres qui les composent s’associe à des essais de religion moins grossière que celle de la masse. En règle ordinaire, dans tous les temps,