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ANALYSES.réville. Religions des peuples non civilisés.

Les noirs d’Afrique. — D’accord avec les ethnographes, il faut commencer par distinguer les peuples cafres et hottentots du sud de l’Afrique, dont la couleur fondamentale est le jaune brun ou celle du cuir tanné, des peuples noirs qui habitent la plus grande partie de l’intérieur du continent. Il est entendu aussi qu’on laisse de côté les peuples de la région méditerranéenne. Il importe également de distinguer le noir du nègre proprement dit, lequel est le noir réunissant toutes les formes caractéristiques d’une race se rapprochant de l’animalité ».

La nature générale du noir se caractérise par des dispositions plutôt réceptives qu’actives. Les impressions sont vives ; mais l’application et la réflexion font défaut. Ces traits se retrouvent dans les idées et pratiques religieuses. Sans être monothéiste, le noir d’Afrique ne répugne pas à l’idée d’un dieu suprême, « dieu-nature, le ciel ou le soleil, plus souvent le ciel, et, en tout cas, l’être qui, dans son idée, fait la pluie et le beau temps. Mais ce dieu, quand il le reconnaît, ne tient pas une grande place dans sa préoccupation ou dans sa pratique. Le fond de ses croyances religieuses, c’est le naturisme, c’est-à-dire « le culte de la nature ou plutôt des phénomènes de la nature conçus comme animés. » Parmi ceux-là, il ne choisit pas d’ordinaire les plus considérables, mais ceux qui parlent davantage à son imagination, arbres, eaux, animaux, notamment le serpent. Cette forme religieuse n’est pourtant pas celle à laquelle M. Réville réserve le nom d’animisme, bien qu’elle s’en rapproche. « Dans notre opinion, dit l’auteur, il ne peut être question d’animisme que lorsque les esprits adorés sont conçus indépendamment des objets naturels, vivant sans rapport nécessaire avec eux. »

Le noir d’Afrique est sur la voie qui mène à la notion « d’esprits innombrables, vagabondant à travers les espaces. » Le culte qu’il rend aux esprits des morts le pousse dans la même direction. « La foi de ces populations dans la survivance de la personne humaine est entière, irréfléchie, comme chez la plupart des non civilisés. » Les morts reviennent on s’expose à leur vengeance si l’on n’entoure pas leurs tombes du respect voulu. Tout cela est, sinon logique, au moins passablement raisonné. « Un nègre, à qui l’on demandait comment il pouvait offrir à manger à des arbres, répondit sans aucun embarras que ce n’était pas l’arbre qui mangeait, mais l’esprit invisible qui demeure dedans, et qu’il ne consommait pas l’aliment que nous voyions, mais qu’il en consommait l’esprit. »

Parmi les innombrables esprits dont le noir est entouré, il distingue, sans doute, entre les bons et les mauvais, mais sans faire d’eux des catégories absolument tranchées. « Ils sont tous susceptibles, jaloux des honneurs qui leur sont dus, et la prudence conseille de n’en irriter aucun. » Il y a là comme « une convergence de deux animismes, celui qui vient de la nature tenue pour animée dans toutes ses parties » et « celui qui vient de la croyance en la survivance personnelle des âmes et en leur intervention arbitraire dans les choses de la vie terrestre. »