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ANALYSES.réville. Religions des peuples non civilisés.

de la religion et ceux de la civilisation n’ont jamais cessé d’être solidaires. »

Sous le bénéfice de ces observations préliminaires, abordons le corps de l’ouvrage.

Les peuples « non civilisés » ne sont pas des sauvages au sens propre du mot. Même les groupes humains les plus bas placés ont dépassé l’état de pure nature. « Tous possèdent l’arme, l’outil, le feu, ce qui les exclut immédiatement de la catégorie des vrais sauvages. L’invention, calculée avec réflexion en vue d’une amélioration de la vie, a déjà joué son rôle dans leur existence encore misérable, Ils ne sont pas civilisés ; on ne peut pas dire qu’ils soient restés dans l’état réel de sauvagerie. » La différence entre « civilisés » et « non civilisés » n’est d’ailleurs qu’une différence relative, qui se fonde « sur la présence ou l’absence de certaines conditions indispensables aux libres progrès ultérieurs de la vie de l’esprit ».

Les religions de la « non-civilisation », dans les contrées les plus dissemblables et les plus distantes, offrent une ressemblance étonnante. Les différences que l’on doit aussi marquer, s’effacent devant cet accord fondamental. On en conclut que, « à un certain degré de son développement, l’esprit humain a conçu partout, d’une manière à peu près identique, l’univers, je veux dire ce qui lui faisait l’effet d’être l’univers, l’ensemble des choses, et par conséquent l’esprit, objet de la religion, collectif ou individuel, avec lequel il cherche à s’unir pour dominer les contradictions de sa destinée. »

Une théorie bien connue, dans les religions si souvent grossières et inhumaines de l’antiquité et de la non-civilisation existante, ne veut voir que la défiguration lamentable d’une religion originelle bien supérieure, en harmonie avec les besoins et les notions des peuples parvenus à la civilisation la plus avancée. Cette théorie se confond avec celle d’une révélation surnaturelle de la vérité religieuse, qui aurait été faite aux premiers hommes par la puissance créatrice. En dehors, en effet, d’une pareille hypothèse, il n’y aurait pas moyen de concevoir comment l’homme, encore plongé dans la plus épaisse ignorance de lui-même et du monde, aurait pu s’élever, dès le début, par je ne sais quelle intuition divinatrice, à des croyances d’une pureté, d’une sublimité qui ne les ont rendues accessibles qu’aux esprits préparés par de longues expériences et par des siècles d’éducation préalable. Aussi bien cette hypothèse, qui se produit sous le patronage de « traditions respectables, » ne s’accorde ni avec les analogies philosophiques, ni avec les faits. Les hiérographes ont dû l’écarter absolument du champ de leurs recherches.

D’autre part, on a prétendu qu’il existait des peuples sans religion. Oui, sans doute, si l’on définit la religion comme exigeant la présence des éléments suivants : culte, dogmes, idées métaphysiques, croyances collectives ; non, si l’on entend simplement par là la croyance à des agents surnaturels placés en dehors de l’homme et exerçant une