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ANALYSES.leslie stephen. The science of Ethics.

qui les accompagnent. Chaque société a des lois organiques qui lui sont propres. Chaque groupe a les siennes. Mais au-dessus de toutes ces lois, s’adressant également à tous les hommes, abstraction faite de leur condition particulière, pourvu qu’ils aient toutefois atteint un certain degré de développement, se place la loi qu’on appelle la loi morale. Elle a pour caractère d’être comme le résumé approximatif des conditions de la vitalité sociale, d’être par suite naturelle, de ne pouvoir être modifiée artificiellement qu’avec une extrême lenteur, et de paraître ainsi immuable. Son plus grand progrès, si nous considérons l’histoire, s’est accompli le jour où à la formule générale : « Agis de telle ou telle manière, » s’est substituée cette autre formule : « Aie tels ou tels sentiments, » où, comprenant que la moralité doit être tout intérieure, au lieu de dire « Ne tue pas, » on a dit : « Ne hais pas tes semblables. » Cette modification est le fait du christianisme. Si l’on songe que la conduite est toujours en fonction du caractère et des sentiments, on reconnaîtra qu’en agissant sur le caractère et les sentiments on agit sur la conduite elle-même. Mais au début il était plus facile de réformer, ou du moins de contenir la conduite, en prescrivant directement tel ou tel mode d’action. On en modifiait ainsi, dans une certaine mesure, les facteurs internes, et peu à peu le progrès dont nous parlions a été rendu possible ; d’objective qu’elle était d’abord, la définition du devoir est devenue subjective et bien plus exacte en même temps.

Le principe général de la vitalité sociale une fois posé, après qu’on a montré quels sont les germes de ce que nous appelons la loi morale, il reste à faire voir, non pas au point de vue d’un idéal inaccessible, mais au point de vue des faits, quel est le contenu de cette loi, à le déduire du principe même. M. Leslie Stephen passe en revue les différentes vertus que l’évolution a développées et dont la pratique, de l’aveu de tous les moralistes, importe essentiellement à la conservation d’une société. Ces vertus cardinales sont le courage, la tempérance, la véracité, la justice. Ce sont là autant de conditions de la prospérité d’un peuple et des individus qui le composent. Mais sommes-nous obligés de les pratiquer ?

On sait l’importance du fait de l’obligation morale dans la doctrine rationnelle. Que certaines actions nous apparaissent comme obligatoires, c’est-à-dire comme devant être absolument faites, c’est là le point de départ de ces déductions qui conduisent à affirmer l’existence d’un bien d’une valeur absolue, d’un bien que l’expérience même accumulée ne saurait nous faire connaître, que la raison seule nous révèle et nous propose comme but suprême à atteindre. Dans trois chapitres considérables sur la sympathie, le mérite et la conscience, M. Leslie Stephen essaie de montrer successivement quelle qualité acquise au cours de l’évolution rend l’individu capable de se sentir obligé, quelle est la forme de cette contrainte morale et quelle est la nature du caractère que revêt alors l’individu. En tant que nous nous sentons membres d’une société, que nous nous identifions avec elle, nous sommes portés,