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dit ci-dessus, il faut aussi demeurer d’accord qu’il ébranle et meut plus fortement les esprits animaux, ce qui excite tout le corps et le rend disposé à se mouvoir. D’où il est évident que des bêtes pourraient danser avec mesure, si on les y instruisait, ou si on les y accoutumait de longue main, parce qu’il n’est besoin pour cela que d’un effort et mouvement naturels.

« Pour ce qui regarde les différentes passions que la musique peut exciter en nous par la seule variété des mesures, je dis en général qu’une mesure lente produit en nous des passions lentes, telles que peuvent être la langueur, la tristesse, la crainte et l’orgueil, etc., et que la mesure prompte, au contraire, fait naître des passions promptes et plus vives, comme est la gaieté et la joie, etc. »

Descartes n’a abordé cet ordre de considérations qu’à propos de la mesure, et l’on trouve, dans le reste de son Abrégé de la musique, beaucoup d’idées vagues et obscures, quand il ne se borne pas à énoncer des faits d’acoustique. Il semble attribuer à l’oreille, comme Euler, un véritable jugement ; il emploie de ces expressions, telles que celle de sympathie, à propos d’objets matériels, et il énonce de ces principes, tels que le son est au son comme la corde à la corde, que son disciple Malebranche devait si spirituellement railler au nom des idées claires[1]. On s’aperçoit donc bien qu’on est en présence d’une œuvre de jeunesse, jugée indigne par son auteur d’être livrée au public. Malebranche a traité diverses questions d’acoustique, comme nous venons de l’indiquer, avec sa précision habituelle ; malheureusement, son mépris pour les arts l’a empêché d’aborder les questions d’esthétique. À son défaut, nous avons son disciple, le P. André, qui est sans doute bien loin de valoir son maître, mais qui, dans son Essai sur le beau, nous a cependant laissé maint aperçu plein de pénétration. Examinant la structure tout harmonique du corps humain, il s’exprime en ces termes : « L’anatomie nous démontre que les nerfs qui tapissent le fond de l’oreille, pour servir d’organe au sens de l’ouïe, se divisent en une infinité de fibres délicates ; que ces fibres, au sortir du tambour et du labyrinthe, se vont répandre de toutes parts : les unes dans le cerveau, qui est le siège des esprits et de l’imagination ; les autres au fond de la bouche, où est l’organe de la voix ; les autres dans le cœur, qui est le principe des affections et des sentiments ; d’autres enfin dans les viscères inférieurs ; que toutes ces fibres sont d’une très grande mobilité, d’un ressort très prompt et dans la tension convenable pour être ébranlées au premier mouvement de la membrane acoustique, à peu près comme

  1. Troisième entretien sur la Métaphysique.