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LECHALAS. — sur le mode d’action de la musique

encore développé les considérations qui ont fait l’objet propre de notre étude, elles ont cependant été déjà entrevues ; mais, auparavant, nous allons indiquer les raisons qui ont pu empêcher de s’y arrêter davantage. Etant donné un fait à expliquer, notre esprit se porte tout d’abord aux explications pour ainsi dire directes, et ce n’est qu’après avoir reconnu l’insuffisance de celles-ci qu’il en cherche de plus détournées. Or ce qui frappe avant tout, dans une étude d’esthétique, c’est la cause extérieure de nos sensations et ces sensations elles-mêmes, et on est porté à voir dans les signes d’émotions le résultat de ces émotions et non leur cause. Cette marche est d’autant plus directe qu’on cherche à expliquer l’émotion elle-même et non son expression, et l’on est d’autant moins conduit à imaginer le détour auquel nous avons eu recours que dans certains cas, celui de la lecture par exemple, il est absolument inadmissible. Dans d’autres cas, quand il s’agit par exemple d’expliquer l’émotion produite par une peinture, l’esprit se trouve satisfait par la théorie qui repose sur l’imitation et ne cherche pas d’autres modes d’action. Ce n’est pas à dire toutefois qu’il ne puisse y avoir ici intervention du phénomène indirect que nous avons cherché à mettre en lumière à propos de la musique ; mais cette intervention n’est pas nécessaire pour expliquer la plupart des faits observés, et en outre les conditions anatomiques sont, nous l’avons vu, bien moins favorables aux actions réflexes des nerfs optiques qu’à celles des nerfs acoustiques. Ayant ainsi trouvé suffisantes dans les autres arts les théories fondées sur l’explication directe de l’émotion, on a été peu porté à en chercher une toute différente pour la musique, alors surtout les premières y étaient partiellement applicables, comme nous l’avons constaté.

Toutefois il nous semble que Descartes a eu comme une vague intuition de l’action pour ainsi dire directe de la musique sur l’ensemble de notre organisme, cette qualification directe voulant simplement dire indépendante de tout intermédiaire psychique. Voici la reproduction intégrale du passage de son Abrégé de la musique qui nous paraît comporter cette interprétation :

« …Cette règle s’observe de distinguer exactement chaque mesure de musique par les gestes et les mouvements réglés de notre corps, à quoi il semble même que la musique nous porte naturellement. Car il est certain que le son a la force d’ébranler tous les corps d’alentour, comme on peut remarquer par le son des cloches un peu grosses ou par le bruit du tonnerre, dont je laisse à chercher la raison aux physiciens ; mais ce fait étant très certain, selon l’aveu de tout le monde, et le son étant plus fort et plus distinctement aperçu au commencement de chaque mesure que dans la suite, ainsi que nous avons