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LECHALAS. — sur le mode d’action de la musique

mination, qui paraît plus absolue que celle des émotions réellement produites par la musique ? Ici nous pouvons invoquer la théorie de Herbert Spencer, que nous n’avons pas rejetée comme fausse, mais seulement insuffisante : la comparaison des sensations éprouvées avec celles produites par les cris naturels donne un excellent élément de détermination approximative. Mais notre théorie même va nous montrer comment chacun pourra trouver en soi une détermination subjective : d’après ce que nous avons rapporté de la physiologie du cœur, l’action réflexe de l’excitation des nerfs de l’ouïe sur les nerfs du cœur provoquera une plus grande vivacité des battements de celui-ci ; l’organe cérébral sera surexcité, et il en résultera un état d’émotion, selon l’expression de Claude Bernard. Le sentiment préexistant prendra plus de vivacité, et, s’il est en rapport avec la détermination approximative de l’expression musicale, il se produira un effet résultant moyen entre le sentiment exprimé par le compositeur et celui qui préexistait chez l’auditeur.

Il résulte de tout cela que l’indétermination relative de l’expression musicale doit avoir une double nature : il y a d’abord l’indécision de l’émotion produite chez une personne déterminée et ensuite la diversité des émotions éprouvées par divers individus. Or il nous semble que les faits confirment bien cette conséquence de notre théorie. Ainsi, fondée sur l’ensemble de notre organisation physiologique, elle paraît expliquer, dans leurs caractères généraux, les phénomènes produits par la musique. Il nous reste à examiner si des connaissances physiologiques plus précises confirment ou non notre hypothèse.

Comme le fait de la transmission nerveuse jusqu’au cerveau et de la sensation est indiscutable, nous devons examiner si ce fait est compatible avec une action réflexe immédiate. Ensuite nous examinerons si les nerfs acoustiques sont dans des conditions favorables à la production des réflexes que nous avons indiqués. Enfin, point essentiel, nous aurons à établir s’il y a vraiment réversibilité entre les états physiologiques et les états psychiques qui peuvent donner lieu à ces états physiologiques.

En ce qui concerne le premier point, l’expérience personnelle nous montre que, si nous posons notre main sur un objet trop chaud, notre bras se rétracte indépendamment de toute volonté et, pour ainsi dire, avant que nous ayons perçu la sensation de brûlure : il y aurait donc une action réflexe. Mais voici une expérience plus concluante : si l’on pince le train postérieur d’une grenouille dont la moelle a été coupée, elle n’éprouve aucune sensation, puisque l’impression nerveuse ne peut se transmettre jusqu’au cerveau, mais