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L’échelle des sons employés par la passion est donc plus étendue que celle des sons d’un usage courant ; elle comporte dès lors des intervalles plus considérables. En outre, ces intervalles se parcourent brusquement, c’est-à-dire que la voix passionnée passe sans transition d’une note à une autre qui en est fort éloignée, or ce fait exige un effort musculaire notable, car l’ajustement des organes doit être modifié rapidement.

Après cette discussion, dont une sèche analyse ne peut donner qu’une bien imparfaite idée ; Herbert Spencer continue ainsi : « Chacun de nous, depuis sa première enfance, a produit spontanément ces diverses modifications, de la voix, lorsqu’il a éprouvé les sensations et émotions qui en sont le principe. Comme nous avons à la fois le sentiment intérieur de chacune de nos émotions et la perception du son qu’elle tire de nous, nous établissons une association entre tel son et l’émotion qui en est la cause. Quand c’est un autre qui fait entendre le même son, nous lui attribuons la même émotion. Par une autre conséquence du même principe ; outre que nous lui attribuons cette émotion, nous la faisons naître en nous, dans une certaine mesure : car avoir conscience de l’émotion qu’un autre éprouve, c’est trouver en soi, sous la lumière de la conscience, cette émotion éveillée, ce qui est proprement l’éprouver. Ainsi ces diverses inflexions de la voix, outre qu’elles sont un langage qui nous fait comprendre les sentiments des autres, ont aussi le pouvoir de faire naître en nous, par sympathie, des sentiments pareils Eh bien ! n’avons-nous pas là tous les éléments d’une théorie de la musique ? Ces particularités de la voix, qui sont l’indice d’une exaltation des sentiments, sont celles qui distinguent spécialement le chant du parlé ordinaire. Chacune des inflexions de la voix qui nous ont paru être l’effet physiologique de la peine ou du plaisir est simplement, dans la musique vocale, portée à son plus haut degré. »

Spencer trouve une première confirmation de sa théorie dans ce que l’histoire nous apprend des développements successifs de la musique, laquelle se serait de plus en plus différenciée da langage ordinaire. Il trouve d’ailleurs comme un résumé de ces gradations dans un opéra quelconque. « Entre le récitatif, tout uni par comparaison, du dialogue ordinaire ; le récitatif plus varié, aux intervalles plus larges, aux notes plus hautes ; des scènes de passion ; le récitatif encore plus musical qui sert de prélude à un air, et l’air lui-même, le changement se fait par degrés insensibles. »

Litchfield, cité par Darwin dans son ouvrage sur l’Expression des émotions chez l’homme et les animaux, signale un fait qui peut être regardé comme confirmant, dans une certaine mesure, l’opinion de