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À l’agrément que présentent les sensations sonores ou lumineuses de la musique et de la peinture décoratives s’ajoute, comme le remarque Euler, le plaisir du dilettante qui admire l’habileté du peintre ou du compositeur ; mais ce dernier plaisir est tout intellectuel et diffère essentiellement de l’émotion naïve que cause la contemplation d’une Vierge de Raphaël ou d’un paysage de Ruysdael. Cette émotion suffirait à prouver que la peinture n’est pas exclusivement décorative : si la musique produit des émotions analogues, on doit en conclure qu’elle non plus n’est pas exclusivement décorative, et qu’il y a une musique expressive comme il y a une peinture expressive. Or poser une pareille question, c’est la résoudre, car, si l’on néglige quelques théoriciens et les natures incomplètes, il y a, pour ainsi dire, unanimité pour proclamer que la musique est douée d’une puissance d’expression exceptionnelle. On ajoute, il est vrai, que cette expression est vague en même temps qu’elle est puissante, et que deux personnes différentes peuvent interpréter très différemment une même œuvre musicale. Au fait du caractère expressif de la musique, qui démontre l’insuffisance des théories précédentes, s’en ajoute donc un autre, celui de l’indétermination relative de ses effets : une théorie complète devra expliquer également ce nouveau caractère.

Nous avons distingué en commençant, dans le phénomène musical, trois éléments, l’élément physique du son considéré objectivement, l’élément physiologique de la transmission nerveuse et l’élément psychique de la sensation. Considérant d’abord le son en lui-même, puis y ajoutant la sensation sans aucun élément étranger, nous avons reconnu qu’on n’expliquait ainsi que la musique décorative, pour employer une appellation que l’assimilation à la peinture rend naturelle. Si nous remarquons que la peinture expressive diffère de la peinture décorative parce qu’elle imite les êtres qui nous entourent, et particulièrement l’homme, avec tous les sentiments que traduisent ses organes extérieurs, on est naturellement amené à se demander si la musique expressive ne repose pas également sur le principe d’imitation. Cette conception a été développée avec un talent exceptionnel par Herbert Spencer, dans un mémoire sur l’Origine et la Fonction de la musique, mémoire dont la traduction se trouve dans un recueil d’Essais traduit par M. Burdeau sous le titre d’Essais sur le progrès. Cette étude impose un examen attentif.

Herbert Spencer établit tout d’abord, par de nombreux exemples, que tous les sentiments, sensations ou émotions agréables ou pénibles, ont ce caractère commun d’être des aiguillons (stimuli) du système musculaire, en sorte que tout sentiment se traduit à l’extérieur par