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LECHALAS. — sur le mode d’action de la musique

naître que, le nombre des vibrations étant inconnu de la plupart des personnes qui jouissent d’une audition musicale, il est impossible que les combinaisons mathématiques entre ces nombres leur procurent aucune jouissance intellectuelle.

Cela étant, que nous reste-t-il ? Un rhythme qui découpe le temps comme le trait d’un dessin découpe l’espace ; puis, pour remplir le canevas ainsi formé, des sensations sonores n’ayant pas un caractère plus intellectuel que celui des sensations lumineuses connues sous le nom de couleurs. La richesse des sensations musicales est, il est vrai, plus grande que celle des sensations lumineuses, car, lorsque plusieurs sons se superposent, notre oreille les analyse, comme nous l’avons dit, en sorte que la sensation résultante ne se confond avec celle d’aucun son simple ; notre organe optique, au contraire, est incapable de décomposer une vibration complexe, et la superposition de deux lumières ne produit aucune sensation nouvelle, mais reproduit la sensation d’une autre couleur simple[1]. De ce fait résulte, pour le peintre, une grande facilité d’exécution, puisqu’un nombre restreint de couleurs lui permet de former toutes celles qu’il désire, mais il paye cette facilité par la perte d’effets qui nous sont inconnus. Le timbre, qui différencie les sons de même hauteur et de même intensité, ne soulève aucune question spéciale, depuis que Helmholtz a montré qu’il provient de la superposition au son principal de notes accessoires peu fortes et qu’il ne constitue dès lors qu’un effet harmonique.


Quoi qu’il en soit de la plus grande variété des sensations musicales, elle ne change pas la nature du problème, et nous nous trouvons simplement en présence de cadres découpés arithmétiquement dans le temps et colorés pour ainsi dire par les sons, comme la peinture purement décorative nous montre une division géométrique de l’espace, variée par la diversité des tons lumineux. Lors donc qu’on se borne aux faits qui ont servi de base à cette première partie de notre étude, la logique conduit aux conclusions suivantes, qui sont celles de M. Beauquier : « Les combinaisons de sons et de mouvements équivalent à peu près à ce qu’est pour l’œil l’art pur de la décoration, de l’ornementation, les capricieuses arabesques, les culs-de-lampe, les dessins d’étoffes, de tapisserie, etc. Il n’y a pas beaucoup plus d’idées philosophiques, de sentiments, d’imitation, de sujet littéraire dans la musique qu’il n’y en a dans le dessin d’une riche étoffe de damas ou de brocart, ou dans les peintures décoratives des vieilles cathédrales[2]. »

  1. Ceci n’est pas tout à fait exact, puisqu’on ne connaît aucune lumière blanche simple.
  2. Philosophie de la musique.