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qu’outre les proportions il en comprend le plan et le dessein même que la compositeur a eu en vue, il sentira cette satisfaction, qui est ce plaisir dont une belle musique frappe les oreilles intelligentes. »

Examinons maintenant la portée réelle de cette théorie mathématique du beau musical théorie qui est loin d’être abandonnée aujourd’hui, car M. Taine en fait l’un des deux éléments de la sienne[1] : Les rapports numériques qui existent entre les mesures et leurs éléments, en un mot ceux qui constituent le rhythme, sont perçus et parviennent d’une façon plus ou moins précise à notre connaissance : ils peuvent donc agir par eux-mêmes en notre âme, et nous devons l’es réserver pour une discussion complète. Mais il n’en est pas de même du nombre des vibrations répondant aux diverses notes, car, si l’oreille nous permet de distinguer les différents sons par les sensations qui y répondent, ces sensations ne nous apprennent absolument rien sur les nombres de vibrations. Aussi n’a-t-on point attendu de connaître ces nombres pour déterminer les sons dont la combinaison est agréable. Ce n’est qu’après avoir constaté les résultats de la combinaison des divers sons qu’on a étudié leurs nombres de vibration et qu’on a constaté les lois mathématiques que nous avons rappelées. Dès lors le plaisir que l’on éprouve en entendant un accord par fait n’a aucun caractère intellectuel, et, si l’on veut en trouver une explication, c’est à la physiologie qu’il faut la demander, car cette explication ne peut résulter que des modifications produites dans notre organisme par les vibrations sonores.

Tout le monde sait comment les sons complexes paraissent être analysés par les fibres de Corti, situées au nombre de trois mille environ dans le compartiment moyen du limaçon de l’oreille et vibrant chacune sous l’action du son avec lequel elle est rigoureusement d’accord et aussi des sons voisins. Il y a donc une série de fibres qui répondent à chaque son simple, et deux sons voisins ébranlent deux séries ayant une partie commune. L’oreille alors ne sépare pas bien les deux sons, les fibres ébranlées à la fois par les deux notes reçoivent périodiquement les sommes et les différences des deux vitesses vibratoires, et il y a des battements ; lorsque ceux-ci sont assez rapprochés, il en résulte, pour les fibres de Corti, un tiraillement provoquant une sensation désagréable. En tenant compte non seulement du son principal, mais aussi des harmoniques qui l’accompagnent, Helmholtz est parvenu à expliquer ainsi les consonnances et les dissonances fournies par l’observation. Même en admettant que cette explication puisse soulever certaines objections, on doit recon-

  1. La philosophie de l’art, 1re partie, chapitre I.