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LECHALAS. — sur le mode d’action de la musique

que deux sons d’égale hauteur répondent toujours à un même nombre de vibrations dans l’unité de temps et que, plus ce nombre est grand, plus le son est élevé ou aigu. Puis, comparant les nombres de vibrations qui correspondent aux sons dont la succession et surtout la superposition produisent une sensation agréable, les physiciens ont constaté que ces nombres présentaient des rapports simples et que chacun des intervalles musicaux répondait à une valeur constante de ce rapport ; c’est ainsi que, dans toute quinte, le nombre des vibrations de la note la plus élevée est à celui de la note la plus grave comme 3 est à 2.

Certains philosophes ont prétendu tirer une théorie de la musique de ces premiers principes d’acoustique. Sans remonter à Pythagore et aux autres philosophes de l’antiquité, nous reproduirons seulement le passage suivant de la lettre d’Euler que nous avons déjà citée :

« En entendant une musique, lorsqu’on comprend les rapports ou les proportions que les vibrations de tous les tons tiennent entre eux, c’est la production de l’harmonie… On comprend donc l’ordre qui se trouve dans quelque harmonie, quand on connaît toutes les proportions qui règnent entre les tons dont l’harmonie est composée… Mais la musique renferme, outre l’harmonie, encore un autre objet susceptible d’ordre, qui est la mesure par laquelle on assigne à chaque ton une certaine durée, et la perception de la mesure consiste dans la connaissance de la durée de tous les tons et des proportions qui en naissent… La seule connaissance de toutes les proportions qui règnent dans une musique, tant à l’égard de l’harmonie que de la mesure, ne suffit pas pour exciter le sentiment du plaisir… Pour se convaincre que la seule perception de toutes les proportions d’une musique n’est pas suffisante, on n’a qu’à considérer une musique fort simple, qui ne marche que par des octaves, où la perception des proportions est certainement la plus aisée ; cependant il s’en faut beaucoup que cette musique cause du plaisir, quoiqu’on en ait la plus parfaite connaissance. On dit donc que le plaisir demande une connaissance qui ne soit pas trop facile, mais qui exige quelque peine ; il faut, pour ainsi dire, que cette connaissance coûte quelque chose ; mais, à mon avis, cela ne suffit pas encore. Une dissonance, dont la proportion consiste en de plus grands nombres, est plus difficile à être comprise ; cependant une suite de dissonances mises sans choix et sans dessein ne plaira pas. Il faut donc que le compositeur ait suivi, dans la composition, un certain plan ou dessein qu’il ait exécuté par des proportions réelles et perceptibles ; et, alors lorsqu’un connaisseur entend cette pièce, et