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et elle suppose d’ailleurs ce qui est mis en doute par divers esprits, à savoir que les sensations sont susceptibles de mesure, d’addition et de multiplication.

Il ne s’agit pas d’une définition ici, car, pour avoir le droit de la faire, il faudrait d’abord démontrer que les sensations sont susceptibles d’une opération présentant les mêmes caractères que l’addition mathématique. Une pareille démonstration ne peut d’ailleurs être fondée que sur l’expérience.

C’est donc l’expérience seule qui peut prononcer. Ou bien la mesure des différences sensationnelles ne sera au fond qu’une pure convention, ou bien nous possédons un critérium qui nous permettra de contrôler les résultats de cette mesure. Nous devrons, par exemple et au moins, pouvoir juger si une différence sensationnelle est double d’une autre, de même que nous avons jugé qu’elle était égale à telle autre ; si ce critérium est possible, il faudra établir par l’expérience qu’une somme de deux différences sensationnelles égales produit bien une sensation double.

Or, en thèse générale, le critérium n’existe pas, et une confirmation essentielle fait donc défaut à la loi de Weber. Il y a exception toutefois pour les deux sens les plus perfectionnés, l’ouïe et la vue. On sait que l’oreille apprécie assez nettement la gradation des intervalles musicaux, et il semblerait possible d’instituer des recherches relatives à la gradation de l’intensité.

L’œil apprécie de même avec une assez grande sensibilité la gradation des teintes grises, et M. Delbœufa imaginé des expériences qui lui ont permis de vérifier suffisamment pour ce genre de sensations la loi de Weber. Mais on ne peut guère espérer que les vérifications de ce genre se multiplient.

Sous réserve de ces observations, j’admettrai, pour poursuivre la discussion, que les vérifications, effectuées seulement pour deux genres particuliers de sensations, sont suffisantes ; que, par suite, l’hypothèse fondamentale relative à l’addition des sensations se trouve justifiée.

I

Revenons maintenant aux méthodes d’expérimentation, et examinons quelles sont les conclusions légitimes auxquelles elles permettent d’aboutir.

La méthode des plus petits accroissements perceptibles donne un résultat expérimental très net. La sensation apparaît comme une grandeur qui varie d’une façon discontinue.