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BERTRAND. — deux lois psycho-physiologiques

de précision la loi qui nous occupe. M. P. Richer ajoute : « La malade cataleptique, dont l’œil est en état de percevoir les mouvements de l’expérimentateur placé en face d’elle, les reproduit exactement… On peut faire exécuter ainsi à la malade les mouvements les plus variés, non seulement des bras et des jambes, mais de la face et de tout le tronc, comme ouvrir et fermer la bouche, tirer la langue, frapper des mains, frapper des pieds, s’abaisser, s’accroupir, s’agenouiller, se relever, sauter, se déplacer même, marcher, etc. » Ainsi ce ne sont pas seulement des mouvements de physionomie, des jeux divers des muscles de la face, mais des attitudes, des actes, en un mot tout ce qui se traduit par le corps humain, que Buffon appelle si justement l’âme extérieure. Le docteur Hacke Tuke vient d’étudier l’état mental dans l’hypnotisme[1] ; des faits qu’il cite, on peut conclure que l’état cérébral n’est pas absolument inconscient, au moins dans la première et la dernière phase du sommeil hypnotique et de l’état cataleptique. Cette conclusion, si modeste qu’elle soit, est loin d’être sans importance. En effet, si le sujet a pu percevoir sur lui-même des états définis de sensation, d’idéation et de volition, nous avons un témoignage authentique et nous pouvons pénétrer dans ces âmes obscures ou obscurcies momentanément, guidés par un fil plus sûr que celui de la simple analogie. En d’autres termes, les mouvements physionomiques provoqués ne correspondent pas simplement à des réflexes cérébraux ; ces réflexes, en tout cas, ne sont pas d’autre nature que ceux qui se produisent sous l’influence des excitations mentales ; et les excitations mentales concomitantes, sortes de chocs en retour, figurent obscurément dans le champ visuel de la conscience. Entre l’acte suggéré et l’acte suggestif il y a deux intermédiaires, l’un physiologique, l’autre mental et subconscient.

Si l’on en doutait, les faits eux-mêmes témoigneraient en faveur de cette manière de voir. « Faut pas que je bavarde, je ne pourrais plus m’arrêter[2] » dit une malade, ce qui indique qu’elle sent que sous l’influence de l’éther elle se laisse aller à des discours qu’elle ne veut pas qu’on entende. Qu’on se rappelle les faits bizarres cités par M. Ch. Richet dans son article sur La personnalité et la mémoire dans le somnambulisme[3] ; on fait accroire à une somnambule qu’elle est une petite fille, une actrice, un général, un prêtre, une religieuse, et, successivement, elle s’objective, dit l’auteur, en ces divers personnages, et prend un langage approprié. On peut aussi la transformer d’un seul mot en oiseau ou en chèvre : elle essaye immédia-

  1. Annales médico-psychologiques, livraisons d’octobre et de novembre 1883.
  2. Iconographie photographique de la Salpétrière, t.  I, p. 138.
  3. Revue philosophique de mars 1883.