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BERTRAND. — deux lois psycho-physiologiques

t-on dire, superficielles ; celles de M. Charcot pénètrent jusque dans les profondeurs de notre machine cérébrale et mentale. Plus puissante et plus mystérieuse que nos agents physiques, la maladie fait mouvoir des ressorts et des fibres que l’électricité n’atteignait pas. Ici encore, le psychologue a pour tâche l’interprétation des phénomènes d’expression, et cette tâche est extrêmement délicate. Dans le Mécanisme de la physionomie, on voit le savant imaginer et préparer lui-même ses expériences ; dans l’Iconographie photographique, les expériences sont préparées par la nature elle-même, et le rôle du médecin se borne à bien voir, à bien décrire et souvent aussi à bien interroger. C’est le cas de rappeler la théorie des expériences « pour voir » dont parle Cl. Bernard ; un peu d’idée préconçue, le désir bien légitime de vérifier un système tout arrêté, en un mot tout un ensemble de vues systématiques à vérifier, tout cela n’altérerait en rien la sincérité des recherches et la certitude des résultats, et tout cela éclairerait singulièrement la science de la physionomie. Quand on songe qu’un peintre ou un acteur auraient singulièrement à apprendre à la Salpêtrière pour l’expression on pourrait presque dire à l’état natif, à l’état de pureté — de certaines émotions, on se prend à regretter qu’il n’y ait pas à la Salpêtrière, à côté de l’illustre médecin-psychologue, un psychologue-médecin, préposé uniquement à l’observation mentale et pour ainsi dire à la clinique psychologique. Ce rêve toutefois est en partie réalisé, si nous songeons à l’importance des documents psychologiques que contient l’Iconographie.

En premier lieu, notons les phénomènes d’aphasie provoquée : une malade est dans la période de somniationou de somnambulisme et répond aux questions posées par l’opérateur. On ouvre les paupières droites, la parole est supprimée ; on referme l’œil droit, elle parle, compte 1, 2, 3, 4, 5, 6 ; à ce moment, on écarte les paupières droites, elle s’arrête aussitôt ; on ferme les paupières, elle répond : 7, 8, 9, etc.[1]. L’acte d’ouvrir ou de fermer les paupières suffit donc pour enlever ou donner la parole ; les paupières deviennent donc une sorte de clef à monter le mouvement ou à mettre au cran d’arrêt la sonnerie du cerveau. Chez la même malade, on peut à volonté provoquer des hallucinations et des expressions de physionomie : si l’on prend le regard et si l’on fait avec les doigts des mouvements rapides

  1. Iconographie photographique de la Salpêtrière, 1879-80, {p. 43. Remarquons, on verra dans la suite l’utilité de cette réflexion, que la patiente reprendra 7, 8, 9, etc., lors même qu’on ne lui rendra la parole (en fermant les paupières) qui fort longtemps après qu’elle aura prononcé 5, 6. Ce fait frappe extrêmement l’imagination des spectateurs. La machine montée, on n’a qu’à faire tourner l’échappement. Le temps ne fait rien à l’affaire.