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penché sur sa boule et semblant le pousser de la pensée vers un but marqué ; vertige physique et vertige moral ; phénomène, si peu compris jusqu’ici, du mal de mer ; tous les faits qu’elle explique, M. E. Chevreul les a décrits ou entrevus. Comment se fait-il que cette loi si féconde soit si peu citée par les psychologues ? Il n’y a qu’une seule explication vraisemblable. M. E. Chevreul a le tort d’être Français, grand chimiste, et cela nuit à sa psychologie ; puis il a commis la faute grave d’énoncer sa loi en une formule à la fois simple et scientifique, qui n’a rien de logarithmique ni de transcendantal. Une circonstance cependant reste inexplicable : comment se fait-il que M. F. Ravaisson, le profond et consciencieux historien de la philosophie française au xixe siècle, ait passé sous silence les admirables travaux qui viennent d’être résumés et n’ait pas daigné consacrer une seule ligne à la psychologie de M. E. Chevreul ?

III

Les travaux de M. Charcot jouissent d’une réputation bien plus retentissante. Insistons principalement ou plutôt exclusivement sur les phénomènes de suggestion : ce sont eux qui contiennent virtuellement la loi énoncée plus haut, et nous allons essayer de l’en extraire sans forcer la signification des faits. En principe, la suggestion expérimentale consiste à donner à une cataleptique certaines attitudes qui font naître dans son cerveau ou dans son esprit des séries de modifications traduites immédiatement par la physionomie de la patiente et interprétées par l’opérateur. On connaît les expériences de Duchenne (de Boulogne) : il électrisait isolément ou par groupes les muscles de la face et obtenait des contractions propres à exprimer tous les sentiments. C’était une sorte d’analyse psychologique par l’électricité, analyse assez délicate pour nous permettre, par exemple, de distinguer nettement le vrai sourire, du sourire faux et forcé de l’hypocrite. Seulement, tandis que le décor changeait aux yeux du spectateur, la scène restait vide : le cerveau et l’esprit du vieillard qui se prêtait aux expériences de Duchenne demeuraient inactifs et impassibles. À vrai dire, une telle analyse n’avait rien de psychologique que l’habileté plus ou moins ingénieuse de l’opérateur à juger de la scène et du drame imaginaires par les décors qui apparaissaient et disparaissaient, semblables aux personnages de la lanterne magique. Les expériences de M. Charcot font un pas de plus et deviennent tout autrement intéressantes ; celles de Duchenne étaient, pourrait-