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BERTRAND. — deux lois psycho-physiologiques

lectuelle que du sens de la vue. C’est la vue qui, en s’émoussant, trouble la précision des mouvements musculaires : la gymnastique est excellemment définie par M. Chevreul « l’art d’apprendre et d’exécuter ce que les muscles doivent dépenser de force pour accomplir ces actes de mouvement que la vue dirige[1]. » De ces observations sur le sens de la vue et sur l’art de vieillir, on doit tirer plusieurs conséquences il est déplorable que les typographes, par un progrès à rebours, changent légèrement la forme des lettres et des chiffres, car c’est dérouter non seulement le regard, mais encore l’esprit. Les mots, comme l’a remarqué Bossuet, ont une physionomie propre ; changer leur aspect en modifiant l’orthographe, c’est altérer jusqu’à leur sens : ni l’œil ni l’esprit ne perçoivent le même mot et la même idée. Sans nous éloigner de notre sujet, nous pouvons citer d’autres remarques ingénieuses de M. Chevreul sur l’influence de la spontanéité et de la volonté sur la perception visuelle : rien de plus absurde que de dorer les aiguilles d’un cadran et surtout le cadran lui-même, que de peindre en vert les caisses d’une orangerie. Il faut ignorer entièrement la loi du contraste simultané. Par contre, rien de plus utile que de circonscrire d’un léger trait les teintes plates d’une carte coloriée. Ce trait léger et presque insaississable joue pour la vue le rôle de la rampe d’escalier pour le toucher et le sens musculaire ; cette rampe, lors même que vous ne vous y appuyez pas, vous guide et assure vos mouvements en ôtant toute indécision par la sécurité qu’elle donne. En résumé, il faut généraliser l’assertion de Pascal : « La volonté est un des principaux organes de la créance, non qu’elle forme la créance, mais parce que les choses sont vraies ou fausses selon la face par où on les regarde. » Notre perception visuelle cérébrale intellectuelle est profondément modifiée : 1o par notre état d’esprit et notre préoccupation du moment, en d’autres termes, par notre tonicité musculaire et cérébrale ; 2o par la relation de l’objet perçu avec le milieu ambiant et les objets environnants, en d’autres termes par la relation du sens de la vue avec cette sorte de vision interne du cerveau qui exige, même dans la connaissance de l’idée pure, une dépense d’énergie mesurée principalement par le sens de la vue.

Arrivons aux précisions et, avec M. Chevreul, passons de l’observation à l’expérimentation. Il faut rappeler d’abord qu’on appelle baguette divinatoire une longue tige de bois, le plus souvent de coudrier qui a la propriété de tourner ou de s’incliner dans la main de l’expérimentateur sous certaines influences souterraines prétendues, telles

  1. Phénomènes conséquents de la vieillesse, p. 233.