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logie, § 65). Il y a (quoique l’expression puisse choquer) « une sensation de rapports ». Mais Spencer réduit trop le nombre de ces rapports. Nous avons une sensation (feeling) de et, de si, de mais, de par, etc., absolument comme une sensation de bleu ou de froid. Il n’y a pas de mots pour les désigner : elles n’en existent pas moins, De là des erreurs graves. L’associationisme, par exemple, peut être considéré comme une formule commode, pour résumer les faits en gros, comme la théorie des fluides électriques, des lignes courbes composées de lignes droites, etc. ; mais il a le défaut de ne pas voir la continuité dans le cours de la vie mentale, et les rationalistes de leur côté n’expliquent rien avec leur moi transcendant. Les uns et les autres partent de cette hypothèse que le sentir est discontinu par nature. — Si nous représentons le courant subjectif par une ligne continue, chaque portion que nous isolons peut être représentée par une coupure ; mais ces coupures n’existent pas en réalité, elles sont artificielles et la fonction naturelle de chaque segment de la ligne est de conduire à l’autre segment d’une manière continue. — L’auteur insiste beaucoup et avec exemples sur la nécessité de considérer les changements de l’esprit sous une forme complète et totale : l’associationisme et l’herbartisme ne doivent être considérés que comme des schémas,

En examinant le cas d’un nom oublié que nous cherchons vainement, on voit qu’il y a dans la conscience comme un trou, mais un trou extrémement actif, qui cherche à se remplir, et le curieux, c’est que ce vide dans la conscience, loin d’être une absence de sentiment, est un sentiment très intense. De même lorsque nous lisons des formules telles que : « néanmoins », « quoi qu’il en soit », etc., est-il vrai qu’il n’y a rien que des mots dans notre esprit ? En fait, toutes ces formules et leurs analogues ne sont que des signes de directions de la pensée, très nettes, quoiqu’il n’y ait aucune image qui les remplisse. De même dans les cas où nous employons cette locution : Qu’est-ce que j’allais dire ? Il y a une intention définie, distincte de toute autre, vide d’images pourtant. Un bon tiers de notre vie psychique consiste dans ces schèmes de pensées non articulées. Ce sont là, dira-t-on, des tendances ; oui, mais elles correspondent à quelque chose de subjectif à un sentiment de tendance, quelque vague que soit l’expression. Il y a dans toute image une sorte de pénombre ou d’halo qui l’entoure et l’escorte et fait en réalité partie d’elle-même. La différence entre la pensée et le sentir (feeling) se réduit en définitive à l’absence ou à la présence de cette sorte de « frange ». ;

L’auteur examine en terminant une autre difficulté et source : d’erreur dans l’observation intérieure : c’est la confusion entre le point de vue des psychologues et le point de vue du sentiment lui-même qui est étudié. Le premier point de vue est nécessairement externe. Il examine aussi comment « chaque pensée dans le processus mental peut avoir le sentiment de ce processus dont il fait partie ». C’est là pour nous actuellement un mystère profond, un problème réservé à l’intro-