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nier qu’Auguste Comte n’ait conçu dans son intégralité le plan de la science qui embrasse tous les problèmes relatifs à l’état social, qu’il men ait défini le champ, posé les principes, fondé les méthodes. On peut regretter que M. Masseron, qui lui consacre une étude très intéressante, qui ouvre ensuite une digression digne d’attention sur les conséquences Sociales des doctrines darwinistes, passe à peu près sous silence les travaux si importants d’Herbert Spencer sur la sociologie. Mais le plan de son ouvrage l’entrainait à se hâter et à exposer le passage des théories insuffisantes aux essais infructueux de leur application pratique.

Ce que ces essais ont été en France, on le sait en gros ; on connaît également le mouvement des associations ouvrières en Angleterre. Le socialisme allemand et ses théoriciens, Karl Marx, Ferdinand Lassalle, etc., sont beaucoup moins connus. M. Masseron nous fournit à cet égard des renseignements précieux, ainsi que sur la situation, singulièrement progressive, qu’a prise le clergé catholique allemand dans la question.

Dans la dernière partie de l’ouvrage se trouvent surtout discutées les principales formules proposées ou essayées pour les modes d’association dans lesquels on peut espérer trouver une solution plus ou moins satisfaisante des problèmes aujourd’hui soulevés.

On ne peut nier que, ramenée aujourd’hui sur ce terrain relativement étroit, la question sociale nait perdu le caractère philosophique très accusé que lui avaient donné les premiers qui l’ont soulevée ; elle a glissé sur le domaine économique ; mais elle n’y restera certainement pas. Sa gravité préoccupe depuis longtemps les penseurs, et ils commencent à l’envisager avec des vues plus larges que ne le fit en 1848 l’Académie des sciences morales et politiques. L’étude de ses origines et de la filiation successive des diverses théories socialistes a donc, pour les philosophes, un intérêt actuel, et, à cet égard, le livre de M. Masseron mérite de trouver de nombreux lecteurs.

T.

Stöhr (A). Vom Greiste (De l’esprit ; critique de l’existence d’une « conscience mentale » ). In-8o, Hölder, Vienne, 1883.

M. Stöhr se sent pris de remords. Il l’avoue avec une tristesse qui n’a rien de joué ; il s’en veut de ruiner à tout jamais notre croyance à la réalité de la conscience et des phénomènes de l’esprit, de « réduire à néant notre rêve le plus cher et le plus tendrement caressé » ; il a un dernier regard de pitié, plein d’une compassion mélancolique pour « ces fantômes charmants, qui ne prennent naissance que dans les natures les plus nobles, les esprits les plus élevés, » — Mais il ne reculera pas ; l’intérêt de la philosophie et de la vérité exige qu’il parle ; s’abstenir serait une faiblesse que sa conscience de philosophe ne lui pardonnerait jamais. — Et d’ailleurs, n’est-ce pas rendre service à ces natures d’élite, à ces grands esprits égarés que de les rappeler à