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d’ « absolutisme moral qui semble contredire les légitimes résultats de sa critique spéculative ». Le vrai principe limitatif et persuasif, selon M. Fouillée, est immanent : il se réduit à la conscience même, dont les autres consciences et la réalité objective sont une « projection », et dont la transcendance est un « mirage ». M. Fouillée s’est donc proposé de ramener le principe limitatif à sa vraie valeur, en évitant tout ensemble le dogmatisme moral de Kant et l’espèce d’indifférentisme de Spencer, qui ne se demande point quelles conséquences morales on peut tirer de ce fait même que nous sommes des êtres conscients, placés en face d’autres êtres conscients, et que nous agissons tous sous l’idée directrice de liberté. :

« En résumé, nous acceptons tout ce qu’on a pu dire de positif sur l’organisme social et ses lois ; nous considérons l’évolution de la vie sociale comme réalisant, par le jeu même des forces et des intérêts, auxquels nous ajoutons les idées, une approximation indéfinie du droit. Nous ne rejetons donc rien des théories naturalistes ou idéalistes, du moins rien de ce qu’elles ont de positif, mais au-dessus des lois de la force, de l’intérêt, de la vie, de la pensée, nous élevons la notion problématique d’une activité qui renfermerait le principe même du mouvement, de la vie, de la pensée, qui serait ainsi la racine même de la conscience. D’une part, nous ne laissons pas avec Spencer l’idée de l’inconnaissable, ou plutôt l’idée de la conscience fondamentale, dans un état d’inertie ou d’inutilité, en dehors de toute influence morale et juridique ; d’autre part, nous ne faisons pas de cette idée, avec l’auteur de la Raison pratique, un impératif mystérieux, une loi toute formelle et despotique, par une sorte d’absolutisme moral et juridique. Nous nous efforçons de maintenir l’harmonie entre la spéculation et l’action, que Kant a compromise. Pour cela nous limitons par une même borne, par une même idée, — celle de la conscience insaisissable à la science objective, — la pensée empirique et la conduite empirique ; nous constituons ainsi le droit par l’extension à tous les êtres conscients et agissants de cette même limite nécessaire. Pour le reste des idées morales, nous les ramenons à ce qu’elles sont : c’est-à-dire une hypothèse spéculative ou une hypothèse pratique sur le contenu inconnaissable de la conscience et de l’existence. Et il y a deux hypothèses possibles : 1o le contenu de l’être et de la conscience est amour de soi : de là dérive l’utilitarisme exclusif ; 2o le contenu de l’être et de la conscience est amour du tout : de là la doctrine de la charité ou de la fraternité. Est conforme à la fraternité toute action adéquate non seulement à la science positive et à ses limites, mais encore à la plus haute hypothèse métaphysique qu’on puisse concevoir sur la nature de l’être et de la conscience. Mais, à la charité comme à l’utilitarisme nous imposons la même limitation spéculative et pratique : 1o restriction du dogmatisme empirique pour les uns et du dogmatisme métaphysique pour les autres ; 2o restriction de l’activité pour tous, en face d’autrui ; en un mot, justice en pensée et en acte, λόγῳ καὶ ἔργῳ καὶ ἔργῳ. L’intolérance et l’absolu-