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ANALYSES.fouillée. L’idée du droit.

certitude de notre ignorance ou de notre incertitude métaphysique. En d’autres termes, le droit se fonde sur le plus clair de notre science et sur le plus clair de notre ignorance. Cela tient à ce que la conscience, Comme telle, est à la fois ce qu’il y a de plus certain et de plus inexplicable. En outre, ajoute M. Fouillée, ce double fondement psychologique et métaphysique n’exclut en rien les autres fondements positifs et scientifiques, tels qu’ils ont été établis par les écoles utilitaires et évolutionnistes : « seulement il les empêche de s’ériger en fondements absolus, et par cela même il empêche la justice et le droit de s’absorber en entier dans la force ou dans l’intérêt. Ce non plus ultra n’est pas à dédaigner. » L’égoïsme à ainsi rationnellement, scientifiquement, métaphysiquement, socialement et moralement une limite légitime. De plus, cette limite est la même pour tous, ce qui fonde l’égalité.

« Il faut donc commencer par pratiquer le supporte et abstiens-toi, qui est la loi de limitation, avant de pratiquer le précepte aime et agis, qui est la loi d’expansion. » C’est seulement après avoir reconnu et accepté ses propres limites que notre conscience fait un pas de plus : elle arrive, « par le prolongement de soi autour de soi, » à concevoir problématiquement un idéal positif de liberté individuelle et de société universelle. Cet idéal de la fraternité, à la fois cosmologique, moral et social, est « rationnellement persuasif », non plus seulement limitatif comme l’idéal de la justice.

Mais comment l’idéal peut-il devenir réalité ? — Ici intervient un nouveau fait d’expérience : « la tendance de l’idéal et, plus généralement, des idées directrices, des idées-forces, à se réaliser elles-mêmes ». Parmi ces idées se trouvent précisément celles de liberté individuelle et de société universelle des consciences : ce sont là, on vient de le voir, les idées directrices de la justice et de la fraternité. Elles se réalisent dans la mesure même où elles sont conçues et aimées, °

L’auteur, en plusieurs passages, rapproche et distingue tout ensemble cette théorie synthétique des doctrines de Spencer et de Kant, Spencer, tout en reconnaissant aussi le point de vue métaphysique de la conscience inexplicable à soi-même, a négligé d’en tirer les conséquences morales et sociales ; « après avoir suspendu notre science de l’explicable à un principe inexplicable dont il ne donne qu’une formule transcendante, il ne fait plus aucun usage de ce principe dans sa théorie morale et juridique. » C’est là, selon M. Fouillée, une étonnante inconséquence. Les Premiers principes de Spencer ne s’accordent point avec ses Data of Ethics. « Sans prétendre appuyer la philosophie du droit sur ce qui serait par définition inconnaissable et transcendant, il faut que l’idée même de l’énigme immanente à la conscience restreigne et refrène les motifs et mobiles purement matériels. » D’autre part, Kant a tiré de son inconnaissable transcendant un « dogmatisme pratique », une sorte