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En même temps la conscience « comprend sa propre limitation, sa propre relativité en tant que moyen de connaissance », car elle ne peut s’expliquer d’une manière complète « ni sa propre nature comme sujet pensant, ni la nature de l’objet qu’elle pense, ni le passage du subjectif à l’objectif. » De là le principe de la relativité des connaissances. « Un vrai positiviste, comme un vrai criticiste et un vrai sceptique, doit garder au fond de sa pensée un que sais-je ? et un peut-être… Il ne doit pas affirmer l’adéquation du cerveau à la réalité, l’adéquation de la science à la réalité, mais seulement à la réalité pour nous connaissable. L’expérience même nous apprend que notre cerveau n’est pas fait de manière à représenter toujours toutes choses comme elles sont indépendamment de lui… D’une part, donc, l’objet senti ou pensé n’est pas conçu comme étant tout entier pénétrable à la science, pénétrable au sujet sentant et pensant. D’autre part, le sujet n’est peut-être pas à son tour tout entier pénétrable pour lui-même. » Ce principe de la relativité de toutes les connaissances construites avec les données de notre conscience est, selon M. Fouillée, le second fondement du droit.

En effet, un tel principe est d’abord « limitatif et restrictif de l’égoïsme théorique », qui est le dogmatisme intolérant ; de plus, il est « restrictif de l’égoïsme pratique » qui est l’injustice. « Faire de son égoïsme et de son moi un absolu, c’est dogmatiser en action comme en pensée, c’est agir comme si l’on possédait la formule absolue de l’être ; c’est dire : — Le monde mécaniquement connaissable est tout, la force est tout, l’intérêt est tout. — L’injustice est donc de l’absolutisme en action… Or, il restera toujours de l’inexplicable mécaniquement, ne fût-ce que le mouvement même, et la sensation, élément de la conscience. Jointe à toutes les autres considérations, l’idée de ce quelque chose d’irréductible qui constitue notre conscience, en restreignant notre connaissance sensible, nous impose aussi rationnellement la restriction de nos mobiles sensibles, et cela en vue d’autrui, en vue du tout. Le solipsisme, comme disent les Anglais, est aussi inadmissible en morale qu’en métaphysique, bien qu’il soit peut-être logiquement irréfutable dans les deux sphères. »

M. Fouillée, arrivé à ce point de sa théorie, se pose à lui-même d’avance une objection qu’on n’a pas manqué de répéter : « Ne peut-il pas sembler étrange de placer parmi les fondements du droit un principe de doute et pour ainsi dire un problème ? » — Il répond que, selon lui, le droit ne se fonde pas uniquement ni primitivement sur l’inconnu et l’inconnaissable ; le droit, comme nous venons de le voir, se fonde avant tout sur le plus connu et le plus certain des faits, sur ce fait que nous avons conscience de nous-mêmes et que nous concevons en même temps d’autres consciences : « c’est là, pour ainsi dire, l’altruisme intellectuel, fondement de tout autre altruisme. » Le droit a donc pour premières bases deux certitudes : 1o « la certitude de notre conscience psychologique, concevant d’autres consciences ; 2o la