Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 17.djvu/218

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
214
revue philosophique

pour que ces considérations aient chez nous beaucoup d’applications.

Les Thomistes, en Italie comme en France, font de la philosophie comme si jamais ni Kant ni Hegel n’avaient existé. Ils ignorent même l’existence de Gioberti et de Rosmini. Et pourtant cette école est chez nos voisins la plus nombreuse, parce qu’elle comprend le clergé, qui est encore la classe la plus appliquée, chez eux, aux études spéculatives. Il est triste, dit M. Cantoni, de penser qu’une portion si notable des hommes instruits se désintéresse à ce point de toute recherche scientifique et du progrès de la pensée en Italie. Lé dommage est in calculable pour la civilisation du pays et en particulier pour son développement philosophique ; cet attachement à des doctrines surannées rend stériles beaucoup de bons esprits et vaines beaucoup d’études sérieuses et vaillantes cependant, qui, mieux dirigées, feraient la gloire de la science. N’est-il pas surprenant, ajouterai-je, qu’on fasse à l’esprits deux parts pour ainsi dire, qu’on lui accorde le droit et le pouvoir de faire dans les sciences tous ces progrès dont on profite, et qu’on prétende en philosophie marquer le point qu’il ne peut pas dépasser, bien qu’il l’ait, semble-t-il, dépassé depuis longtemps ?

Les positivistes, moins nombreux en Italie, y font cependant plus de bruit, comme partout et se croient déjà les maîtres, sinon du présent, du moins de l’avenir. Mais, tout en assignant à la science des limites encore plus étroites que celles de Kant, ils se montrent dans leurs négations tout aussi tranchants, tout aussi dogmatiques que les disciples d’autres écoles dans leurs affirmations. Ils prétendent affranchir la science de toutes les fantaisies, de toutes les illusions des spiritualistes, des idéalistes, et, à leur tour, ils exposent et soutiennent une doctrine qui n’est pas moins transcendante, Ils n’y mêlent aucune critique, ou à peu près, de leurs propres idées, et ils affectent un ton aussi méprisant pour leurs adversaires que pourrait le faire un théologien illuminé de l’esprit de Dieu. Il ont donc grand besoin, eux aussi, que la critique modère leurs prétentions et leur inspire des scrupules salutaires sur la valeur de leurs théories et de leurs méthodes. La critique, en effet, est également opposée à toute sorte de dogmatisme, négatif ou positif, à celui des idéalistes comme à celui des empiriques. Elle veut que dans la solution des questions purement théoriques, qu’elles se rapportent à la nature du réel ou à l’étude des choses telles qu’elles Sont, nous ne nous laissions guider par aucune préoccupation religieuse ou irréligieuse, mais que, libres de toute tendance particulière ou subjective, nous poursuivions le vrai avec une sincérité parfaite envers nous-mêmes et l’exposions avec une entière bonne foi. Il s’en faut, dit M. Cantoni, que l’on suive ces maximes de notre temps. Même les plus grands, comme Rosmini, Gioberti, Ferrari, se sont laissé entraîner en matière scientifique à beaucoup d’’affirmations ou de négations par des préjugés, par des tendances pratiques, morales, religieuses où politiques. Le criticisme au contraire, consistant en une sorte d’examen de conscience, sérieux et approfondi, que la raison se fait subir à elle-