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ANALYSES.weber. Histoire de la philosophie européenne.

les choses procèdent de l’absolu, qui reste en dehors ; cela ne saurait s’appliquer qu’à une phase très passagère de son évolution, phase marquée par deux courts écrits, Philosophie et Religion, et le Bruno traduit par Husson[1], L’émanatisme forme ici la transition naturelle entre la création, qui va venir, et la pure immanence, le parfait monisme qui règne dans la philosophie de la nature et dans tous les travaux de la même période. Il ne faut pas dire non plus que Schelling est demeuré hésitant pendant toute sa vie entre l’absolu-pensée et l’abstraction supérieure à l’opposition de la pensée et de l’être. L’idéalisme transcental et la Philosophie de la nature forment symétrie dans la pensée de leur auteur. Le premier veut montrer comment le sujet produit l’objet, la seconde comment l’objet produit le sujet, l’absolu restant l’indifférence. Que ce parallélisme fût défendable, on ne le prétend pas. Il est bien plus naturel de superposer les deux doctrines, puisque dans l’ordre de succession, l’évolution cosmique et biologique forme l’antécédent de l’évolution intellectuelle, tandis que dans l’ordre essentiel, si la pensée est la fin, la pensée doit être le principe, ce qui conduirait à Hegel ; mais est-ce bien la pensée qui est la fin ? Dans sa nouvelle philosophie, vaillamment inaugurée dès 1809 par la dissertation sur la liberté humaine, Schelling nous semble concevoir le bien d’une façon plus concrète. Pourquoi n’est-il fait aucune mention de cette nouvelle philosophie où Schelling a persisté pendant un demi-siècle, qui a compté de nombreux et d’éloquents disciples et qui, tant par les affinités que par les différences, semblait offrir quelque intérêt au nouveau monisme de la volonté morale. Nous serions curieux d’apprendre la cause de ces dédains, et aussi le nom de cette grande philosophie du siècle qui seule ne doit rien à Kant.

La nouvelle édition, pour être « entièrement refondue », ne diffère pas beaucoup des précédentes, ce que nous sommes loin de lui reprocher. Dans la philosophie grecque nous avons trouvé quelques développements nouveaux et des subdivisions dont la nécessité se faisait vivement sentir. Il y a dix ans, M. Weber nous semblait préoccupé surtout de combattre le dualisme cartésien ; aujourd’hui, son monisme s’est précisé ; l’intention d’en mettre en relief le caractère spécifique se trahit dans de menus détails. « Il faut savoir gré à Campanella de cette affirmation catégorique de l’intelligence comme principe formel des choses, affirmation qui le distingue profondément des matérialistes, » dit une note de la première édition. La troisième porte : « Il faut savoir gré à Campanella de cette affirmation énergique de la volonté, comme principium essendi, affirmation qui le distingue à la fois des matérialistes et des purs idéalistes. » Dans la première édition, Leibniz proclame cette vérité, élémentaire aujourd’hui en physique, que l’essence de la matière n’est pas l’étendue, mais la force. Dans la seconde, la vérité élémentaire en physique, c’est que l’essence de la matière

  1. Et non par Grimblot, comme l’indique M. Fouillée.