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ANALYSES.weber. Histoire de la philosophie européenne.

tend point de soi-même. S’il est permis de se poser le problème, on ne saurait le résoudre qu’en posant en dogme l’unité de nature en tout être, d’où suivrait que si la matière est en soi quelque chose, cet en soi de la matière, doit ressembler à l’en soi du moi. Nous le croyons, et M. Weber nous fait l’honneur de s’en souvenir ; mais comment prouver l’unité des natures ? comment démontrer l’en soi de l’âme ?

Non, la vérification des hypothèses métaphysiques n’est pas possible, au sens du moins que la science exacte attache à ce mot ; c’est pourquoi la métaphysique n’est pas une science, et c’est pourquoi la méthode métaphysique ne saurait se confondre avec celle de la science. La métaphysique est et reste fondée sur la méthode à priori. Son procédé consiste à postuler les propositions dont la raison a besoin pour comprendre les choses de manière à se satisfaire elle-même. Elle est soumise au contrôle de la science dans ce sens que ses conclusions doivent être conciliables avec les résultats auxquels la science est définitivement arrivée ; mais, aux yeux de cette dernière, les certitudes du philosophe resteront simplement des thèses possibles. Les deux domaines se touchent partout, les eaux des deux fleuves se mêleront incessamment pour former l’opinion raisonnable ; mais les méthodes ne se confondront point.

Nos positions respectives étant bien au clair, nous nous sentirions tout à fait libre pour apprécier l’œuvre de l’historien, si nous n’avions pas la certitude que M. Weber connaît les systèmes philosophiques infiniment mieux que nous. Cette conviction nous dispense de le louer, l’éloge devant venir de haut, pour ne pas dégénérer en flatterie ; la critique de quelques détails montrera le sérieux de notre lecture et provoquera peut-être une discussion utile.

Nous n’avons rien noté dans le chapitre des anciens, qui nous semble le meilleur. Quant au moyen âge, qui remplit 92 pages (et 48 seulement dans le manuel de M. Fouillée, dont l’étendue est sensiblement pareille,) nous y trouvons un peu trop de noms propres, tandis que les grands sujets ne se détachent peut-être pas d’une manière assez nette. Les sentences du Lombard ont-elles été vraiment éclipsées ? ne revivent-elles pas tout entières dans son illustre commentateur ? n’ont-elles pas donné sa forme irrévocable à la théologie catholique, en même temps qu’elles en complétaient le dogme ? La doctrine de la voluntas ordinans et de la voluntas ordinata ne devait elle pas être soigneusement relevée au chapitre de Duns Scot, pour distinguer ce penseur de son école elle-même et pour montrer comment son point de vue se concilie avec la stabilité des lois naturelles et les exigences de l’esprit scientifique ?

M. Weber ne fait pas commencer la philosophie moderne avec Descartes, mais avec Giordano Bruno ou plutôt avec son inspirateur Copernic. L’innovation est justifiée au point de vue que prend la philosophie dans le milieu de l’histoire universelle, comme un élément et comme un effet à la fois de la culture en général ; mais, si l’on s’attache