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consiste à bien faire. Mais qu’est-ce que la volonté du bien prise au sens absolu ? Ne serait-ce pas la volonté créatrice ? M. Weber reprend la question au point où Fichte l’avait laissée. Lorsqu’il exposera ses vues d’une manière plus complète et plus méthodique, peut-être se trouvera-t-il qu’il l’a faite avancer.

Dans le chapitre final, où le monisme de la volonté morale est entrevu plutôt qu’esquissé, le courageux historien accuse le positivisme d’étroitesse et de pusillanimité, certain comme il l’est que l’étude des faits nous ouvre au moins des échappées sur l’essence des choses ; il entend soumettre la philosophie à la méthode des sciences : l’observation et l’induction ; il prend donc la philosophie sur le pied d’une science, il pose en fait que la métaphysique admet et comporte des hypothèses vérifiables au sens des sciences, Dans l’intérêt de cette thèse importante, il montre avec beaucoup de bonheur les chefs des principales écoles philosophiques bien mieux d’accord que ne l’imagine un public ignorant. Mais cette argumentation est trop ingénieuse pour sembler concluante, et nous ne comprenons pas trop en quoi la vérification peut consister en métaphysique. Il nous plaît fort que le monisme de la volonté soit « la synthèse où tendent les trois facteurs qui président au développement de la philosophie européenne, la raison qui possède l’unité essentielle des choses, l’expérience qui constate l’universalité de la lutte, et l’effort du vouloir et de la conscience qui affirme l’idéal moral, fin suprême de l’effort créateur et de l’universelle évolution[1]. » Seulement nous ne voyons pas comment ces thèses sont vérifiables.

« La science moderne a ramené, nous dit-on, l’idée de matière à celle de force, et déjà Leibniz a dit excellemment : point de substance sans effort. Or faire effort, c’est vouloir. Si l’effort est l’essence de La matière, c’est donc la volonté qui est le fond, la substance et la cause génératrice de la matière. D’autre part, l’effort est aussi la source de l’aperception, car il n’y a ni aperception sans attention, ni attention sans effort. C’est de la volonté que procède l’aperception et non vice versa. C’est donc, en définitive, la volonté qui est l’unité supérieure et la cause première de ce que nous appelons la matière et de ce que nous nommons l’esprit. La volonté est l’être dans sa plénitude ; tout le reste n’est que phénomène. Séparées de l’effort qui les produit, les réalise, les constitue, la matière et la pensée ne sont que des abstractions, elles n’existent que pour la volonté. » — La thèse que l’aperception procède de la volonté peut être donnée comme un résultat de l’observation psychologique, inséparable de l’intuition ; mais que l’effort fait l’essence de la matière, l’évidence de cette doctrine leibnizienne nous semble tout à fait conditionnelle ; elle suppose d’abord que le sujet des perceptions sensibles possède une réalité distincte de la perception elle-même, ce qu’on croit généralement, mais qu’on ne prouve pas ; puis, qu’on peut comprendre l’essence de cette réalité, ce qui ne s’en-

  1. Histoire de la philosophie européenne, page 548 et dernière.