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Évidemment ce ne sont plus là des vers du type ordinaire ; mais peut-on dire que ce soient encore des vers ? Aucune de ces lignes offre-t-elle rien de musical, le moindre rythme saisissable à l’oreille ? Ne suffirail-il pas d’ouvrir un livre de prose pour y trouver un certain nombre de bouts de phrases analogues, offrant par hasard douze syllabes ? La rime ne peut pas plus les transformer en vers que l’artifice typographique par lequel on les imprime à la ligne, avec des majuscules au premier mot ; des vers blancs seraient préférables à ces phrases mal équilibrées où les consonances sembleront nécessairement produites par le hasard. Si le propre du vers, comme nous l’avons vu plus haut, est d’exprimer et de produire l’émotion, d’aller au cœur, il est clair que le calembour ou le demi-calembour de la rime ne saurait constituer le vers ; il nous faut donc, selon les lois psychologiques et physiologiques précédemment invoquées, chercher dans le langage rythmé l’essence même du vers ; or le rythme disparaît là où la césure est non seulement affaiblie, mais totalement supprimée, là où l’on ne peut plus battre en aucune façon la première des deux mesures à ou à formées par le vers. Les poètes rejetant la césure de l’hémistiche sont donc des musiciens qui veulent se passer du rythme, c’est-à-dire du fond même de toute musique et de tout vers. Des architectes qui voudraient se passer de pierres, ou tout au moins de pierres taillées, ne seraient pas plus étranges.

Si les prétendus vers « romantiques » que nous venons de citer ne sont pas des vers, s’ensuit-il que l’alexandrin conçu par Boileau soit le seul possible ? Bien loin de là ; dès le xviie siècle, il y avait un versificateur d’un génie très supérieur à Boileau (peut-être à Racine) ; nous voulons parler de La Fontaine, qui a manié l’alexandrin, comme les petits vers, avec une habileté merveilleuse ; plus tard est venu André Chénier ; plus tard enfin notre V. Hugo. Aucun n’a changé d’une manière fondamentale le rythme du vers français ; mais chacun d’eux, surtout le dernier, lui a fait subir des variations considérables. Pour comprendre ces variations et les apprécier à leur juste valeur,

    qui ne comprennent pas les « nouvelles voluptés de l’oreille », et qui refusent de suivre M. Vergalo dans la voie où il veut, d’accord avec M. de Banville, entraîner la poésie française ! « Je suis un poète innovateur, écrit-il dans sa Poétique nouvelle (Lemerre, 2e édition)… Je sais où marche l’humanité… Je fais une Poétique nouvelle, une Prosodie nouvelle, c’est-à-dire un coup d’art, une révolution… Notre école, l’école vergalienne, est celle du progrès et du sens commun… La poésie contemporaine ou celle du xxe siècle sera vergalienne, ou elle mourra. » Nous ne savons si la poésie contemporaine tend à « devenir vergalienne », mais à coup sûr elle aboutit parfois à d’étranges cacophonies.