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renvoyant régulièrement, en mesure ; cet écho régulier, par lui-même, ne manque pas de charme. De plus, puisque les voyelles, ont chacune son timbre, les voyelles de la rime auront quelque chose du timbre varié des instruments ; les unes, comme les a, ont quelque chose de la contre-basse ; les autres, comme les i, ont l’acuité de la clarinette ou de la flûte ; chaque vers peut se reconnaître alors au timbre de sa dernière syllabe ; les uns sont pour ainsi dire accompagnés avec un instrument, les autres avec un autre, et nous éprouvons, en retrouvant dans la strophe ces différents timbres, un plaisir semblable à celui du musicien distinguant dans l’orchestre les divers instruments qui tour à tour se renvoient une phrase mélodique. Ce plaisir, que nous donne l’écho et la reconnaissance du timbre, a sa part dans la jouissance causée par la rime ; cependant il serait peu de chose à lui seul : la preuve, c’est que nous ne le recherchons jamais dans la prose, nous l’évitons même, et les anciens l’évitaient aussi. Le vrai rôle de la rime est donc de fixer le rythme par son choc régulier, c’est le métronome du vers. Telle est sa justification scientifique, et c’est par là qu’elle se rattache indirectement au principe premier de tout langage rythmé : l’émotion.

II

Dans cette espèce de « morphologie » du vers que nous venons d’esquisser à grands traits, nous avons négligé tous les cas de développement mal équilibré et d’apparente monstruosité qui pouvaient se présenter. Nous devons les examiner à présent, montrer comment ils rentrent dans la règle, comment on peut les expliquer et jusqu’à quel point on doit les approuver. Ces monstruosités, aujourd’hui assez prisées, sont de trois sortes : 1o la suppression méthodique du temps fort à l’hémistiche ; 2o l’enjambement méthodique ; 3o par compensation, la rime recherchée et uniformément riche.

Le romantisme a tenté de renouveler l’alexandrin classique, et ses théories sont aujourd’hui acceptées de presque tous les poètes contemporains (nous exceptons M. Sully Prudhomme). Autant en effet le romantisme à perdu de nos jours son influence sur les prosateurs, autant il a gardé sur les poètes une domination presque exclusive. La petite école dite parnassienne n’est elle-même qu’un humble rameau du grand tronc romantique ; elle se rattache à Th. Gautier, l’admirateur et pour ainsi dire l’adorateur de V. Hugo, du poeta soverano, comme Dante disait d’’Homère. Selon M. de Banville, qui a systéma-