Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 17.djvu/182

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
178
revue philosophique

juxtaposition des diverses parties d’une représentation complexe, et il croit que pour cela il est nécessaire que ces parties soient perçues successivement. Je suis d’avis qu’ici la succession n’est pas indispensable. Soit donnée par exemple une image visuelle composée de trois bandes différemment colorées, si elle est assez petite pour pouvoir être embrassée d’un seul regard sans que ni l’œil ni l’objet se meuvent, les trois bandes apparaissent nécessairement l’une à côté de l’autre, juxtaposées, sans qu’elles aient besoin d’être perçues successivement. Peut-être la même chose peut arriver aussi dans le toucher, bien que ceci ne soit pas également évident.

Même à propos de l’espace, je crains que l’auteur n’en ait fait, pour ainsi dire, trop bon marché ; à son avis, l’espace serait identique au vide et au néant ; par conséquent, les questions tant de fois agitées s’il est à priori ou s’il nous est donné par l’expérience, s’il est fini, ou infini, ou indéfini, s’il est ou s’il n’est pas quelque chose de réel en soi, seraient de vaines subtilités des philosophes.

Mais comment ? L’espace jouit de propriétés bien déterminées, qui à elles seules forment l’objet d’une science, et il serait égal au néant ? Du reste, que l’espace ne soit pas tout simplement le vide, cela résulte aussi manifestement de l’expression : espace vide, que l’on oppose à cette autre : espace plein. Expressions qui, dans l’hypothèse de l’identité entre espace et vide, équivaudraient à vide vide et vide plein.

Selon moi, l’espace pur est un système de rapports ; par conséquent, une notion abstraite ; une pure forme ; l’espace plein est au contraire un système de corps entre lesquels ont lieu ces rapports qui, pris à eux seuls, constituent l’espace pur ; l’espace vide enfin ou est fini, — et il consiste en un système de rapports réels entre les corps qui le limitent, — ou il est indéfini, — et alors ce n’est plus une réalité, mais bien une pensée où sont supprimés les termes, comme serait par exemple un livre ayant un nombre indéterminé de pages, lequel ne peut exister que dans la pensée. Quant à l’espace vide infini, celle-ci est une notion négative, car il consiste en la négation (non plus seulement en l’omission) de ces rapports qui devraient le limiter. Au contraire l’espace, pur et simple, est une notion abstraite, mais toute positive.

François Bonatelli,
Professeur ordinaire de philosophie à l’Université de Padoue.