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reconnaît au soleil des dimensions si grandes que notre terre pourrait être plongée dans une de ses taches sans en toucher les bords, et qui, à l’aide d’un télescope plus perfectionné voit une multitude de ces soleils, dont quelques-uns sont encore bien plus grands.

Plus tard, comme elles l’ont fait jusqu’à présent, des facultés plus élevées et des vues plus profondes élèveront ce sentiment plutôt qu’elles ne le diminueront. Aujourd’hui l’intelligence la plus puissante et la plus instruite n’a ni la science ni la capacité nécessaires pour symboliser par la pensée la totalité des choses. S’occupant d’une ou d’une autre division de la nature, le savant n’en sait pas assez des autres divisions pour avoir même une faible conception de l’étendue et de la complexité de leurs phénomènes ; et en supposant même qu’il ait une connaissance adéquate de chacune d’elles, il est cependant incapable de les concevoir dans leur ensemble, Une intelligence plus vaste et plus subtile peut l’aider plus tard à avoir une vague conscience de leur totalité. De même qu’une faculté musicale, n’ayant pas été cultivée et capable seulement d’apprécier une mélodie simple, ne peut pas saisir dans leur ensemble les passages et les harmonies complexes d’une symphonie qui produisent dans l’esprit du compositeur et de celui qui dirige l’exécution des effets musicaux dont l’unité et l’élévation ne frappent point le profane, de même, grâce à l’évolution future de l’intelligence, le cours des choses, aujourd’hui compréhensible seulement dans ses parties, pourra être compris dans sa totalité et éveillera des sentiments concomitants aussi supérieurs à ceux de l’homme civilisé d’à présent que les sentiments de ce dernier le sont à ceux du sauvage.

Et ces sentiments seront probablement fortifiés et non point diminués par cette analyse scientifique qui, tout en conduisant l’homme à l’agnosticisme, le pousse néanmoins d’une façon constante à imaginer quelque solution de la grande énigme qu’il sait être insoluble. Il faut surtout qu’il en soit ainsi s’il se rappelle que les notions, commencement et fin, cause et intention, sont des notions relatives propres à la pensée humaine et probablement inapplicables à la réalité dernière qui dépasse la pensée humaine ; et si, tout en soupçonnant que le mot explication n’a point de sens quand il est appliqué à cette réalité dernière, il se sent cependant entraîné à penser qu’il doit y avoir une explication..

Mais au milieu des mystères qui deviennent d’autant plus mystérieux qu’on y réfléchit davantage, il lui restera cette certitude absolue, qu’il se trouve toujours en présence d’une énergie infinie et éternelle, source de toutes choses.

Herbert Spencer.