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BONATELLI. — sensations et perceptions

d’un même fait complexe, en observant que leur grandeur relative varie à l’infini, depuis les cas où l’un prévaut sur l’autre, de telle façon que celui-ci est réduit à zéro ou au moins devient inappréciable, jusqu’à celui où leurs valeurs se balancent, ces groupes binaires peuvent être distribués en une série analogue au développement d’un binome. Dans le premier terme, nous aurons la sensation avec son plus grand exposant, et ainsi de suite les exposants du second facteur augmenteront d’autant plus que diminueront ceux du premier jusque ce que dans le dernier terme le sentiment soit tout et la sensation n’aura plus une valeur appréciable. Ce qui cependant n’empêche pas que dans l’explication des faits ils soient considérés séparément, la nature et l’action des deux ordres de faits étant, comme j’ai dit, bien différentes. M. Souriau n’ayant pas tenu compte de cette distinction, au début de son étude, oppose, selon son expression, des sensations subjectives à des sensations objectives ; mais ses exemples des premières appartiennent plutôt à la catégorie des sentiments. Or ceux-ci ne peuvent naturellement pas être objectifs, et par conséquent il n’y aurait plus raison de se demander pourquoi les uns se présentent avec le caractère de la subjectivité, pendant que les autres revêtent celui de l’objectivité.

En outre, cette distinction lui aurait fourni un moyen nouveau et important ajouté à ceux qu’il a ingénieusement trouvés pour expliquer cette différence. Mais je reviendrai sur ce point plus tard.

La seconde distinction que je crois nécessaire et que je ne trouve pas chez M. Souriau est celle qui a lieu entre les faits de la sensibilité et ceux de la conscience au sens propre du mot, ce qui revient à dire de la pensée. Il est bien vrai que plusieurs écoles, non seulement matérialistes et sensualistes, mais aussi spiritualistes[1] ne reconnaissent pas cette différence ; ou plutôt, pour bien de gens, la conscience n’est que la forme générale du fait psychique. Mais, en laissant de côté la question des termes, je crois que l’observation exacte des faits démontre à n’en pas douter que l’existence d’un contenu sensible (qu’il soit simple ou complexe, immédiat ou reproduit et de quelque façon qu’il soit intrinsèquement ordonné) est une chose bien différente de cette aperception, de cette affirmation, disons aussi de ce jugement (car même dans ses phases les plus rudimentaires c’est toujours un jugement implicite) par lequel le sujet pose à soi-même un contenu donné, le reconnaît, le constate, quel que soit le terme qu’on donne à cette fonction de l’esprit. Dans

  1. C’est une remarque que j’ai cru devoir faire récemment à propos du livre ne M. Bouillier intitulé : La vraie conscience, dans une critique que j’en ai publie dans la Cultura, livraisons des 15 octobre, 1er novembre 1883.