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SPENCER. — passé et avenir de la religion

la religion, mais ne font que la transfigurer, la science sous sa forme concrète élargit la sphère du sentiment religieux. Dès les premiers pas de la science ses progrès ont été accompagnés d’un progrès correspondant dans la faculté d’admirer. Parmi les sauvages, les moins avancés sont le moins surpris quand on leur montre les produits remarquables de la civilisation : ils étonnent le voyageur par leur indifférence. Et ils voient si peu ce qu’il y a de merveilleux dans les phénomènes les plus grandioses de la nature que toute recherche à ce sujet leur semble être un jeu enfantin. Ce contraste dans l’attitude mentale entre les êtres humains inférieurs et les êtres humains supérieurs trouve son parallèle dans le contraste présenté par les différentes classes de ces êtres supérieurs eux-mêmes. Le paysan, l’artisan, le commerçant ne voient rien d’extraordinaire dans l’éclosion d’un poussin ; mais le biologiste, poussant jusqu’aux limites extrêmes son analyse des phénomènes vitaux, éprouve le plus haut degré d’admiration quand un atome de protoplasme lui montre sous le microscope la vie sous sa forme la plus simple et lui fait sentir que, de quelque façon qu’il en explique les processus, la réalité dépassera toujours tout ce qu’il pourra imaginer. La vue d’une gorge dans les régions élevées des montagnes ne réveillera guère chez le touriste ordinaire, chez le chasseur de chamois, d’autres idées que celles de la chasse où du pittoresque, mais elle en réveillera d’autres chez le géologue. En observant que le rocher arrondi par le glacier, sur lequel il est assis, n’a perdu par les influences météorologiques qu’un demi-pouce de sa surface depuis une époque bien antérieure au commencement de la civilisation humaine, et en cherchant ensuite à se représenter la lente dénudation qui a creusé toute la vallée, il aura des pensées sur le temps et la force qui sont étrangères au touriste et au chasseur. Ces pensées, quoique déjà tout à fait inadéquates à leur objet, lui paraitront encore moins profondes, quand il remarquera les couches irrégulières de gneiss autour de lui, qui lui parlent d’une époque incommensurablement plus éloignée, où se trouvant bien au-dessous de la surface actuelle de la terre, elles étaient dans un état de demi-fusion, et d’une autre époque infiniment plus éloignée encore où leurs éléments constitutifs étaient du sable et de la boue sur les rivages d’une mer ancienne. Les conceptions les plus larges au sujet de l’univers, la plus grande admiration en présence des merveilles qu’il présente ne se rencontrent pas chez les peuples qui supposaient que les cieux reposaient sur les sommets des montagnes ni chez les héritiers modernes de leur cosmogonie qui répètent que : les cieux annoncent la gloire de Dieu. Elles se rencontrent plutôt chez l’astronome qui