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années auparavant ; je citerai comme exemple la capacité possédée par un simple disque de fer de concentrer en lui les vibrations compliquées de l’air produites par le langage articulé, lesquelles, transformées en une multitude de courants électriques divers, sont reproduites à un millier de lieues par un autre disque de fer et entendues de nouveau comme langage articulé. Quand le savant voit les corps solides, malgré leur apparente inertie, sensibles à l’action de forces dont le nombre est infini ; quand le spectroscope lui prouve que des molécules terrestres se meuvent en harmonie avec des molécules placées dans les étoiles ; quand il se trouve forcé d’inférer que des vibrations innombrables traversent l’espace dans toutes les directions et l’agitent, la conception qui s’impose à lui, ce n’est point celle d’un univers composé de matière morte, c’est plutôt celle d’un univers partout vivant : vivant dans le sens général du mot, si ce n’est dans le sens restreint.

Ce qui contribue à hâter le progrès de cette transfiguration due aux recherches des physiciens, c’est cette autre transfiguration qui est le résultat des recherches des métaphysiciens. L’analyse subjective nous force d’admettre que nos interprétations scientifiques des phénomènes objectifs sont exprimées en des termes qui représentent seulement les combinaisons variées de nos propres sentiments et idées, c’est-à-dire sont exprimées en des éléments appartenant à la conscience, qui sont seulement les symboles de ce quelque chose existant en dehors de la conscience. Quoique l’analyse rétablisse plus tard nos croyances primitives jusqu’au point de montrer que derrière chaque groupe de manifestations phénoménales il existe toujours un nexus qui est la réalité fixe au milieu des apparences changeantes, elle nous fait voir cependant que ce nexus de la réalité est à tout jamais inaccessible à la conscience. Quand de plus nous nous rappelons que les activités constituant la conscience, étant rigoureusement limitées, ne peuvent comprendre les activités en dehors de ces limites qui par conséquent semblent inconscientes, quoique la production des unes par les autres paraisse indiquer l’identité de leur nature, cette nécessité où nous nous trouvons de penser à l’énergie externe en des termes exprimant l’énergie interne, donne à l’Univers plutôt un aspect spiritualiste que matérialiste. Il faut ajouter cependant que la réflexion nous oblige de reconnaître la vérité qu’une conception représentant cette énergie dernière par des manifestations phénoménales ne peut en aucune manière nous montrer ce qu’elle est en réalité.

Tandis que les croyances auxquelles nous sommes ainsi amenés par la science analytique ne détruisent pas la matière objective de