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Cette objection parait irréfutable et le serait en effet si Les prémisses étaient vraies. Contre l’attente de la plupart des lecteurs nous répondrons ici qu’au point de départ un germe de vérité était contenu dans la conception primitive, à savoir la vérité que le pouvoir qui se manifeste dans la conscience est seulement une forme différente du pouvoir qui se manifeste en dehors de la conscience.

Tout acte volontaire fournit à l’homme primitif une preuve de l’existence d’une source d’énergie en lui-même. Ce n’est pas qu’il fasse des réflexions sur ses expériences internes ; mais cette notion est à l’état latent dans ces expériences. Quand il produit un mouvement dans ses membres, et que par leur intermédiaire il meut les objets extérieurs, il a conscience d’un sentiment d’effort concomitant. Et ce sentiment d’effort qui est l’antécédent des changements qu’il produit directement est l’origine de la conception de l’antécédent des changements dont il n’est pas l’auteur, lui fournit un mode de penser par lequel il se représente la genèse de ces changements objectifs. D’abord cette idée de la force musculaire comme l’antécédent des événements inaccoutumés produits autour de lui entraîne avec elle l’ensemble des idées associées. Il pense à l’effort impliqué comme à un effort exercé par un être entièrement semblable à lui-même. Avec le temps la conception de ces doubles des morts, qu’il suppose être les auteurs de tous les changements, sauf les plus familiers, se modifie. Non seulement ces êtres deviennent moins matériels, mais quelques-uns d’entre eux se changent en des personnalités plus élevées présidant à des classes de phénomènes qui, se présentant dans un ordre relativement régulier, produisent l’idée d’êtres à la fois bien supérieurs à l’homme par leur puissance et bien plus constants dans leur mode d’action. De cette façon l’idée de la force, telle qu’elle est exercée par ces êtres, finit par s’associer de moins en moins à l’idée d’un esprit humain. Plus tard quand les agents surnaturels inférieurs sont remplacés par un seul agent général et que la personnalité de cet agent général devient plus vague en acquérant plus d’extension, ce progrès tend à marquer encore davantage la séparation entre la notion de la force objective et la force connue par la conscience ; et cette dissociation est poussée jusqu’à ses limites extrêmes dans les pensées de l’homme de science qui attribue à des forces non seulement les changements visibles des corps sensibles, mais encore tous les changements physiques quels qu’ils soient, même les ondulations du milieu éthéré. Néanmoins cette force (que ce soit la force sous la forme statique qui produit la résistance de la matière ou sous la forme dynamique qui se manifeste comme énergie) se présente tou-