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ception d’une divinité possédant ces traits de caractère continue nécessairement d’être anthropomorphique ; non seulement dans le sens que les émotions attribuées sont semblables à celles des êtres humains, mais aussi dans le sens qu’elles constituent des parties d’une conscience qui, comme la conscience humaine, est constituée par des états successifs. Une telle conception de la conscience divine est inconciliable avec l’immutabilité et l’omniscience qu’on lui attribue d’autre part. Car une conscience formée d’idées et de sentiments, qui ont pour cause des objets et des événements, ne peut pas embrasser simultanément tous les objets et tous les événements de l’univers entier. Pour croire à une conscience divine, les hommes sont obligés de s’abstenir de penser à ce qui est désigné par ce mot conscience, sont obligés de ne plus faire de propositions verbales, et des propositions qu’il leur est impossible de transformer en pensées les satisferont de moins en moins. — Naturellement des difficultés semblables se présentent quand on parle de la volonté de Dieu. Aussi longtemps que nous ne donnons pas un sens défini au mot volonté, nous pouvons dire qu’elle existe dans la cause de toutes choses, aussi bien que nous pouvons dire que le désir d’être approuvé existe dans un cercle ; mais quand des mots nous passons aux pensées qu’ils représentent, nous trouvons qu’il nous est tout aussi impossible d’unir dans notre conscience les termes de la première proposition que ceux de la seconde. Quiconque conçoit une autre volonté que la sienne propre est obligé de la concevoir identique à la sienne qui est la seule volonté qu’il connaisse directement, toutes les autres volontés étant seulement inférées. Mais la volonté, comme chacun en est conscient, suppose un motif, un désir quelconque servant de stimulant : l’indifférence absolue exclut la conception de la volonté. En outre la volonté, impliquant un désir qui sert de stimulant, suppose un but que l’on se propose d’atteindre, et cesse d’exister quand ce but est atteint, étant remplacée par une autre volonté qui se rapporte à quelqu’autre but. C’est dire que la volonté, comme l’émotion, suppose nécessairement une série d’états de conscience. La conception d’une volonté divine, déduite de celle de la volonté humaine, implique comme cette dernière, une localisation dans le temps et l’espace : en effet la volonté d’accomplir un but exclut momentanément de la conscience la volonté d’en accomplir un autre ; elle est donc inconciliable avec cette activité universelle qui accomplit simultanément un nombre infini de buts. Nous en dirons autant de l’attribution de l’intelligence. Sans nous arrêter à la sérialité et à la limitation qui y sont impliquées comme dans la volonté, nous pouvons faire observer que l’intelligence, telle qu’il