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les écrits, fort oubliés, sont inconnus à ceux-là même qui savent quelque chose de sa méthode ; on lira l’analyse alerte et substantielle que M. Pérez en a faite, Il faut savoir gré à l’auteur de la Psychologie de l’enfant et de l’Éducation dès le berceau de consacrer à ces modestes études historiques le temps que lui laissent ses recherches originales, pourvu toutefois que celles-ci n’en souffrent point. Car des observations personnelles comme celles qu’il a déjà publiées peuvent, il ne ignore pas, contribuer plus que toute l’œuvre de Jacotot au progrès de la pédagogie rationnelle.

D’une manière générale, nous lui reprocherions volontiers trop de complaisance pour son auteur et trop de peu de critique ; mais peut-être ce défaut n’en est-il pas un dans un travail de ce genre. Quand on présente au public un personnage, même médiocre, il n’est pas mauvais de s’identifier à lui, de pousser en sa faveur la sympathie jusqu’à la partialité. C’est la meilleure condition pour entrer bien dans sa pensée et le mettre dans tout son relief, par conséquent aussi pour rendre à ses idées toute l’action utile qu’elles sont susceptibles d’exercer. À ce point de vue, il serait grandement à souhaiter que M. Pérez consacrât une série d’études comme celle-ci aux principaux pédagogues français ou étrangers. Il n’en manque pas qui mériteraient cet honneur aussi bien et mieux que Jacotot, et dont les ouvrages ou devenus rares, ou trop volumineux, fourniraient matière à de substantielles analyses. Nos grandes maisons de librairie classique, qui contribuent à l’envi à la rénovation des études pédagogiques, ne pourraient faire mieux que d’accueillir ces monographies historiques, beaucoup plus utiles que les recueils d’extraits bigarrés et sans lien, ou les sèches mentions éparses dans des publications encyclopédiques. Il faudrait seulement avoir soin de choisir pour pédagogues de vrais penseurs.

À vrai dire, ce n’est pas par Jacotot que nous eussions tenu à voir commencer la série que nous concevons. Non pas que l’homme fût sans valeur ; sa biographie, que M. Pérez résume peut-être un peu trop brièvement, offre de l’intérêt ; mais en vérité, pour quelques vues justes et d’une hardiesse heureuse, nous ne pouvons nous empêcher de trouver dans ses écrits bien des paradoxes fort gros, bien des erreurs et des hérésies pédagogiques. Comment M. Pérez, qui a un sentiment délicat des fins de l’éducation, ne voit-il pas, ou du moins ne dit-il pas franchement tout ce qui manquait à son auteur pour être un véritable éducateur ? Qu’y a-t-il pour la culture proprement dite, pour l’éducation de l’esprit, dans cette prétendue « méthode d’’émancipation intellectuelle », dans cette « philosophie panécastique, » qui pose en principe que toutes les intelligences sont égales, qui met tout dans tout, qui propose comme idéal d’apprendre vite et comme méthode d’apprendre par cœur avant de comprendre, qui méprise enfin la culture littéraire et le goût ?

Je ne voudrais pas être trop sévère, à mon tour, parce que M. Pérez l’est trop peu. Il y a du bon dans les conseils de Jacotot, ceci notamment, qu’ils invitent l’enfant à travailler ferme et à compter avant tout sur