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SPENCER. — passé et avenir de la religion

Un dieu Fidjien que l’on nous montre dévorant les âmes des morts et les torturant par cet acte, fait preuve d’une cruauté bien moindre qu’un dieu qui condamne des hommes à des tortures éternelles ; aussi quoique cette cruauté soit mentionnée habituellement dans les formules ecclésiastiques, qu’on en parle quelquefois dans les sermons et qu’elle fasse encore le sujet de quelques tableaux, elle parait si intolérable aux hommes doués de meilleurs sentiments que certains théologiens la nient formellement et que d’autres la passent sous silence dans leur enseignement. Il est clair que ce changement amènera à la fin la cessation de la croyance en un enfer et à la damnation. Le sentiment de répugnance que l’injustice inspire tous les jours davantage aidera à la disparition de cette croyance. Infliger aux descendants d’Adam à travers des centaines de générations des peines horribles pour une faute légère qu’ils n’ont pas commise ; damner tous les hommes qui n’ont pas recours à un prétendu mode d’obtenir le pardon, dont la plupart n’ont jamais entendu parler ; amener une réconciliation par le sacrifice d’un être qui était parfaitement innocent ; voilà des manières d’agir qui, si on les attribuait à un souverain terrestre, soulèveraient des cris d’horreur ; les attribuer à la cause première des choses est déjà aujourd’hui difficile, mais deviendra nécessairement impossible dans la suite des temps. De même disparaîtra la croyance d’après laquelle un pouvoir présent dans des mondes innombrables à travers l’espace infini et n’ayant pendant des millions d’années de l’existence de la terre jamais demandé à être honoré par ses habitants, a été tout à coup saisi du besoin d’être loué, et, ayant créé les hommes, s’irrite contre eux s’ils ne lui disent pas continuellement combien il est grand. Le genre humain ne tardera pas à rejeter un trait de caractère qui mérite tout, excepté le respect.

J’en dirai autant des contradictions qui frappent de plus en plus l’intelligence développée. Laissant de côté les difficultés ordinaires présentées par l’attribution à Dieu de certains traits qui sont contraires aux attributs qu’on lui donne d’autre part (dire, par exemple que Dieu se repent, c’est prétendre qu’il manque de puissance ou de prévoyance ; dire qu’il se met en colère, c’est supposer un évènement qui a été contraire à ses intentions et qu’il n’a pu empêcher), nous arrivons à la difficulté plus grande que de telles émotions, comme toutes les autres, peuvent seulement exister dans une conscience limitée. Toute émotion a pour antécédent des idées, et Dieu est habituellement supposé avoir des idées antécédentes ; on le représente comme voyant et entendant telle ou telle chose, et comme étant ému de ce qu’il voit et entend. C’est dire que la con-