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ANALYSES.b. pérez. J. Jacot.

qu’on puisse concevoir entre les deux termes est, non une relation de ressemblance, mais une relation de signe à chose signifiée.

Après cela, il sera inutile d’insister sur la théorie où M. Derepas explique que nous connaissons directement l’âme de nos semblables : « Une main amie presse la mienne ; à cette étreinte affectueuse je réponds par une étreinte de même signification ; une sorte de phénomène d’osmose nerveuse et consciente amène l’homogénéité entre nos deux activités physiologique et psychique ; à la lettre, nous ne faisons plus qu’un » (p. 125). Le tort qu’on peut reprocher à M. Derepas, c’est précisément de prendre à la lettre ces métaphores, Nous doutons, par exemple, qu’aucun psychologue puisse souscrire à ces affirmations : « Les yeux ne sont pas seulement le miroir de l’âme ; ils sont en quelque sorte l’âme même. Non, il m’est impossible, quand je fixe quelqu’un, quand je plonge mes yeux dans les yeux de celui que j’aime, de ne voir là rien autre chose qu’une rencontre de vibrations lumineuses, que des jeux d’un agent matériel entre deux chambres noires. S’arrêter à ce moment aux explications physiologiques, ne voir en face de moi qu’un trou noir à travers lequel la lumière va graver une image comme sur la plaque de Daguerre, non seulement cela me serait odieux ; cela serait déraisonnable, impossible. Ce regard n’est pas un rayonnement muet, c’est l’enveloppe très mince et parfaitement transparente d’une entité immatérielle ; je la saisis à travers le regard ; je lis dans les yeux ; mon âme voit cette âme et la connaît. Et cela sans métaphore, dans la rigoureuse exactitude des termes. Voir, en effet, qu’est-ce, sinon un acte de l’âme, accompagné de conditions physiologiques ? Ce n’est pas l’œil qui voit ; c’est l’être tout entier, âme et corps, Ce n’est pas l’œil qu’on voit, c’est son semblable tout entier, corps et âme. Voir est synonyme de connaître. Le dedans est donc visible, connaissable » (p. 129).

Nous ne discuterons pas. Bornons-nous à remarquer que les vues directes sur l’âme d’autrui par l’intermédiaire des étreintes et du regard sont sujettes à de nombreuses erreurs, Quand Néron embrasse son rival pour mieux l’étouffer, Britannicus lit-il à la lettre dans l’âme de Néron ?

En terminant ce trop rapide compte rendu, où nous avons dû, bien à regret, faire une large part à la critique, nous nous plaisons à rendre hommage aux qualités très réelles du livre de M. Derepas, à l’accent convaincu et sincère qui en anime toutes les pages, et à l’élévation des doctrines qui y sont défendues avec tant de conscience et d’ardeur.

Vicror Brochard.

Bernard Pérez. J. Jacotot et sa méthode d’émancipation intellectuelle. In-18, 210 p. — Germer Baillière. 1883.

Jacotot n’est pas en faveur ; son nom, des plus connus pourtant, n’a jusqu’ici profité en rien du grand mouvement qui porte aujourd’hui les esprits vers les questions pédagogiques. Est-ce à tort ou à raison ? Tout le monde en pourra juger désormais, grâce à l’intéressante mono graphie que nous donne M. Bernard Pérez. On ne lisait pas Jacotot, dont